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Mr Robot : vrai sujet pour fausses ambitions

Par Benjamin Fogel, le 16-09-2015
Cinéma et Séries
Attention, ce texte dévoile la majorité des éléments de l'intrigue de la saison 1 de Mr Robot.

Dès son pilote, Mr Robot fait preuve d’une personnalité qui laisse espérer du meilleur : les ambiances s’installent rapidement ; les partis-pris de réalisation rappellent les ambitions d’Utopia ; la photo utilise intelligemment les filtres ; l’interprétation de Rami Malek, avec sa manière d’ouvrir grand les yeux et de rabattre sa capuche, transmet facilement l’idée d’un personnage à la fois brillant et mal dans sa peau ; et la narration fait preuve de respect pour la réalité technique. La thématique du hacker comme héros moderne – meilleure illustration de l’évolution de notre société, avec cette idée que la force constitue un pouvoir inferieur comparé à celui du contrôle l’information – nécessitant justement d’être creusée, Mr Robot semble avoir de nombreux atouts de son côté.

Une simple transposition dans le monde de l’informatique du combat entre le bien et le mal

Pourtant, rapidement quelque-chose ne tourne pas rond. On sent une faille, un décalage qui empêche la série de se révéler. Cette faille provient de l’anachronisme suivant : Elliot Alderson, dans son attitude, ses compétences, et même dans son profil psychologique, incarne un héros bien ancré dans l’année 2015. Le problème c’est qu’il se bat contre une énorme corporation (E Corp) qui semble tout droit issue des années 90, donnant l’impression que le héros n’appartient pas à l’époque dans laquelle il évolue. Effectivement, la construction de l’entité Evil Corp – malgré son allusion au « Don’t be evil » de Google – fait bien plus écho aux grandes sociétés financières de l’époque d’Erin Brockovich. Le pouvoir auquel semble vouloir s’attaquer Mr Robot a depuis changé de visage. Le profil des sociétés dont la capacité de contrôle et d’expansion semble impossible à canaliser (schématiquement les GAFA aka Google, Apple, Facebook et Amazon) n’a définitivement rien à voir avec celui exposé dans Mr Robot. Les grandes corporations actuelles ne sont plus dirigés par des hommes d’affaires prenant des décisions terribles, le cigare à la bouche et le verre de whisky à la main. Les révolutions d’aujourd’hui portent en elles des problèmes beaucoup plus complexes où s’opposent des acteurs aux profils similaires – un hacker partage beaucoup plus de choses avec un Mark Zuckerberg qu’avec le PDG d’une banque. Rapidement, tout semble alors trop manichéen dans Mr Robot. Alors que l’on vit dans un monde où les détenteurs du pouvoir démontrent sans arrêt leur côté progressiste (confère Tim Cook) et affirment sans cynisme vouloir créer un monde meilleur, la série de Sam Esmail fait complètement l’impasse sur cette ambivalence, et réduit ainsi son histoire à une simple transposition dans le monde de l’informatique du combat entre le bien et le mal. On me rétorquera que la série n’a pas d’ambition politique, que tout cela est conscient et que le créateur le prouve au travers de la scène où Christian Slater expose sa vision binaire du monde où il n’y aurait que des « 0 » et des « 1 ». Mais cela ressemble selon moi à un tour de passe-passe pour se dédouaner de l’inconsistance des enjeux proposés, et pour éviter de s’interroger concrètement sur les moyens de lutter contre les mastodontes actuels, qui rallient facilement à leur cause la majorité de la population.

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Cette inconsistance ne fait d’ailleurs que grandir au fil des épisodes, touchant peu à peu tous les pans de l’œuvre. Le double rebondissement de la série – d’abord que Mr Robot n’est autre que le père d’Elliot, puis que ce dernier est bien mort et n’existe que dans les pensées du héros – détruit toutes les fondations qui avaient été posées. Sam Esmail s’imaginait probablement s’inscrire dans la lignée de Fight Club et reprendre à son compte la thématique de la schizophrénie. Mais au lieu d’apporter une explication, parfaitement cohérente, révélant l’histoire sous un autre jour, cette révélation fait s’effondrer le château de cartes. Tout ce qu’on a vu n’était donc que manipulation cinématographique. Alors que tout prenait sens dans le film de David Fincher (notamment la relation entre le narrateur et Marla Singer), ici on a juste l’impression que l’intégralité de ce qu’on a vu n’a peut-être existé que dans la tête du personnage principal, faisant ressurgir la supercherie détestable du « et si tout ça n’était qu’un rêve ». Mr Robot ne souffre alors aucune seconde vision, au risque d’y trouver certaines scènes mal écrites et dénuées de logique (confère les rencontres entre Elliot et Darlène, dont on découvrira – parce que le rebondissement avec le père ne suffisait pas – qu’elle n’est autre que la sœur du héros).

L’échec à concevoir une œuvre haletante dont l’action et les démonstrations de force ne passeraient que par le code

Tout ce qu’on pouvait attendre d’une grande série sur le hack rentre ici en collision avec des thèmes trop mal traités pour constituer le cœur de la série, tels que la psychologie, la maladie et la dépendance aux drogues. A vouloir donner de l’épaisseur à son héros, Sam Esmail finit par supprimer tout ce qui faisait sa singularité. S’il est déjà étrange qu’un hacker renfermé sur lui-même rencontre IRL ceux qu’il a trackés (confère son échange avec le pédophile dans le premier épisode), il est, selon moi, hyper déceptif de le voir s’infiltrer physiquement dans un bâtiment hautement sécurisé, rabaissant ainsi Mr Robot à un sous Mission Impossible. Ce que montre au final la série, c’est son échec à concevoir une œuvre haletante dont l’action et les démonstrations de force ne passeraient que par le code.

Ainsi, le scénario de Mr Robot ne permet d’explorer ni la problématique des sociétés de contrôle, ni celle de la figure du hacker. Ce n’est qu’un concentré de recettes télévisuels où les intrigues et personnages secondaires, Ollie Parker en tête, ne servent qu’à masquer le manque de fond. Mr Robot ne pose jamais de questions. Sa thématique sert simplement de cadre. Elliot Alderson aurait pu être tueur en série et non hacker, sans que le traitement s’en voit altéré (on pense d’ailleurs fortement à Dexter à cause des monologues intérieurs et du rapport à la justice).

Mr Robot ne manque pas de bonnes idées : le fait qu’Elliot s’adresse au spectateur comme s’il s’agissait d’un autre personnage dans sa tête ; la mise en lumière que les révolutions ne peuvent aujourd’hui qu’ébranler le système, mais jamais le détruire ; ou encore l’androgénie de Whiterose, le leader de la Dark Army. Mais tout cela ne sert aucune cause, n’alimente aucun propos.

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