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Katerine à la radio, autoportrait de l’artiste en petit garçon

Par Thierry Chatain, le 23-10-2015
Musique
Douze semaines durant, France Inter a laissé les clés de son antenne pour une heure hebdomadaire à Philippe Katerine, le temps d'un fantasque voyage à bord de son Orni (objet radiophonique non identifié).

Philippe Katerine est clivant, comme on dit dans le jargon du marketing et de la communication. Dans son domaine de prédilection, la chanson, hors de l’accident “Louxor, j’adore”, au cinéma, comme réalisateur et acteur, en plasticien (cf. l’expo Comme un ananas), le Vendéen polygraphe et polymathe ne laisse pas indifférent. On adore ou on déteste, c’est à prendre ou à laisser. Et tant pis pour ceux qu’il laisse sur le bord du chemin. Difficile de prendre son “Je vous emmerde” de 1999 pour une simple pochade.

À la radio comme ailleurs, dans La Langue à l’oreille, Katerine casse les codes. Il saute du coq à l’âne, lâche des aphorismes d’une voix mi-sentencieuse, mi-insinuante, se lance dans des devinettes sonores ou des “marabout de ficelle” de chansons, rythme l’émission d’un obsédant “motif musical” (sic) de Sébastien Moreau, dont le son se métamorphose au fil des semaines, chante – assez faux, la moitié du temps – sur les musiques qu’il programme.

Katerine a gardé de l’enfance la capacité de considérer tout ce qui l’entoure comme si c’était la première fois, de ne rien tenir pour acquis. En particulier les codes sociaux.

Ceux qu’il énerve diraient qu’il fait son intéressant, comme un gamin. Et, effectivement, il ressort de cette carte blanche que Katerine a gardé quelque chose de l’enfance. Plus précisément, la capacité de considérer tout ce qui l’entoure comme si c’était la première fois, de ne rien tenir pour acquis. En particulier les codes sociaux, ce qui se fait et ce qui ne se fait pas, l’obscène, le pipi-caca-prout. Et le langage. Vous vous souvenez de cette époque où chaque mot pouvait être décortiqué, distordu, répété en boucle jusqu’à ne garder que sa sonorité en se détachant de son sens ? Katerine, oui. Ses premiers propos lors de la première émission : « Il est un âge où les chansons s’envolent de la tête comme l’oiseau du nid ; un âge entre, disons, sept et neuf ans, où les chansons s’écrivent en même temps qu’elles sont chantées la première fois. » Et La Langue à l’oreille semble se dérouler ainsi, au fil de la langue, comme une improvisation. Une impression fausse, bien sûr, car une telle fluidité demande beaucoup de préparation. Le procédé tient du flux de conscience littéraire, du stream of consciousness cher à Joyce pour nous faire pénétrer dans la tête de ses personnages. Et on se sent vraiment dans le cerveau de Philippe Katerine.

L’enfance, c’est aussi le jeu avec les limites pour savoir jusqu’où on peut aller. Qu’on retrouve ici. Après avoir passé “Ils finiront par m’enfermer” de l’Empereur, Katerine déclare, gourmand :« Vous savez La Langue à l’oreille affamée de chansons limites. Oh, la chanson limite ! Et cette chanson était une mise à l’épreuve. » Avant de répéter quinze fois en boucle «  Une mise à l’épreuve », jusqu’à ce qu’une explosion ne l’arrête.

Des chansons limites, mais encore ? Katerine va puiser dans le répertoire d’Erik Satie, Dranem, Jean Dubuffet (qui, oui, a fait de la musique brute), Marcel Zanini, Orelsan, Amadou et Mariam, Jean-Louis Costes ou MC Circulaire (“Ça vient de Vendée”). Chansons populaires (on se souvient de ses reprises lors de l’épisode Françis et ses peintres) ou chansons arty, “de qualité”, peu importe. Il se référe aussi à Queneau et à Perec pour des chansons-portraits qu’il interprète à quatre mains avec Gonzales.

Bref, loin de faire n’importe quoi, notre faux hurlurberlu nous a entraîné dans un voyage au centre de son univers, cohérent sous son apparence décousue, abolissant la distinction entre culture savante et populaire. « Quand c’est fini, ça n’est jamais fini/Quand c’est fini, quelque chose grandit/Quand c’est fini, ça n’est jamais fini/Quand c’est fini, quelque chose jaillit », chantait-t-il a cappella, en chœur avec lui-même, entre Beach Boys et Bach, avant de prendre congé. Et de nous embrasser « où [il] pense, sur le front ». C’est sans crier gare, samedi dernier, qu’il a rendu sa carte blanche. Une chose est sûre : son baiser radiophonique me manquera.

À (ré)écouter sur le site Internet de France Inter et en podcast, sous les titres La Langue à l’oreille (émissions du 1er au 22 août) et Carte blanche à Philippe Katerine (du 29 août au 17 octobre).