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PS’Playlist novembre 2015

Par Collectif, le 30-11-2015
Musique

eicher-150x14301. Stephan Eicher – Voyage (Henri Rouillier)
Extrait de “Eldorado” – 2007 – Chanson
Il y a trois ans, j’ai trouvé la paix. Elle était là, sur la plage de Vík, au sud de l’Islande. Elle bordait le sommet des montagnes environnantes d’un rose orangé, annonciateur de la fin du jour. Des macareux volaient au-dessus de ma tête, portés par les coups de vent, étrangement silencieux. C’était le mois d’octobre, le vent était glacé. La mer avait fini par avaler une bonne partie de la plage et j’étais là, assis dans le sable. Dans mes oreilles, Stephan Eicher résumait : “Je suis un grain, je suis une prière et le chagrin retourne à la poussière.”
Depuis quinze jours, je sursaute dès qu’une sirène retentit. Je n’arrive plus à prendre la mesure de ces échanges surréalistes, pendant lesquels nous évoquons avec les amis ces gens que nous enterrons… Il y en a parfois trois en même temps. J’embrasse les uns plus longtemps que d’habitude, je console les autres devant des parterres de bougies, de fleurs et de photos. On entremêle nos larmes sans aucune pudeur, comme si cette frontière-là, elle aussi, avait sauté.
Depuis quinze jours, j’ai peur de tout et il ne se passe pas une demi-journée sans que je me dise que je vais partir. Que je vais acheter cette petite maison de Vík, sur les hauteurs, juste à côté de la clinique. Et que j’y resterai le temps qu’il faudra. Parce que je n’ai pas beaucoup souri ces derniers temps, que j’ai souvent trop bu, et qu’il faut – quelque part – que ma joie demeure.

ZiggyStardust02. David Bowie – Five Years (Isabelle Chelley)
Extrait de “The Rise and Fall of Ziggy Spiders & The Spiders from Mars” – 1972 – glam apocalyptique
Quand la poussière est retombée, que j’ai enfin lâché mon téléphone parce que j’avais des nouvelles de tous les amis et tenté de dormir un peu, cette chanson s’est mise à tourner en boucle dans ma tête. Sa trop grande théâtralité et ses images apocalyptiques ne me bluffent plus pourtant depuis l’adolescence, mais dans les jours qui ont suivi, certaines de ses paroles ont fait écho à la confusion, au brouillard dans lesquels j’évoluais. Bizarrement, l’angoisse qui monte, dans la mélodie et dans la voix de Bowie, calme un peu la mienne, ou plutôt, la canalise. J’ai toujours pensé qu’un des rôles d’une œuvre d’art – chanson, photo, dessin – était de procurer une émotion forte, de donner envie de pleurer, de réfléchir, voire de susciter la peur ou l’horreur, d’offrir une forme de catharsis. Et en ce moment, entendre un de mes héros me chanter une fin du monde de science-fiction glam m’évite de penser à une réalité trop noire, complexe et confuse.

The_Dwarves_Blood_Guts_&_Pussy03. The Dwarves – Motherfucker (Anthony)
Extrait de “Blood and guts and pussy” – 1990 – Punk à nains
Il est des moments où on a envie de s’en remettre une bonne grosse couche de musique du Diable, celle qui fait bouger la tête des imbéciles heureux mais fâche les abrutis, celle qui sépare les hédonistes des peine-à-jouir, celle qu’on est content de pouvoir écouter sans que qui que ce soit vienne en contester le droit, celle qui emmerde tout ceux que ça emmerde. A ce jeu, les Dwarves sont des rois, souverains du mauvais goût et du punk-garage, pas classes pour un sou. Mais on s’en fout et on gueule avec eux. Motherfucker… Étrangement, dans ma discothèque  numérique, les Dwarves arrivent juste avant Eagles Of Death Metal. Encore un coup de Satan, certainement.

brian-wilson-st-19804. Brian Wilson – One for the boys (Arbobo)
Extrait de “Brian Wilson” – 1988 – Pop divine
Brian Wilson s’est enfermé dans un cocon, sa richesse lui permettant depuis la fin des années 1960 de rester en retrait d’un monde trop anxiogène pour qu’il puisse l’affronter. Très exactement ce que je suis décidé à ne pas faire. Mais quand j’ai besoin de douceur, d’être emporté hors des douleurs, quand j’ai besoin que la planète mette sur “pause”, je me tourne souvent soit vers son album Smile, soit vers ce titre-là. Pas envie d’entendre des paroles, pas envie qu’on me raconte des histoires, juste besoin… de cette infinie grâce. Je vous prête mon angelot replet et un brin réac de 73 ans. Il ne brille pas dans le noir comme un luminou, mais il apporte bien plus de lumière.

200px-Nick_cave_and_the_bad_seeds-the_boatman's_call05. Nick Cave and the bad seeds – Into my arms (Alexandre Mathis)
Extrait de “The boatman’s call” – 1997 – Pop de résilience
À toi le survivant, à toi le disparu, à toi le parent inquiet, à toi la mutilée, à toi l’ami attentif, à toi l’inconnu au regard fier, à toi le vociférateur, à toi le copain de beuverie, à toi le voisin de cinéma, à toi la mariée, à toi le jeune parent, à toi la musicienne, à toi l’incarnation de l’amour : into my arms.

Paris_brule_til_YS731C06. Mireille Mathieu – Paris en colère (Lucile Bellan)
Extrait de “Paris brûle-t-il” – 1966 – Chanson
Quand j’ai découvert cette chanson, il y a plus de deux décennies, en clôture de La vie est un long fleuve tranquille, les paroles n’avaient pas plus de sens que le décalage kitsch qu’elles m’inspiraient. Et puis avec les années, les drames, les épreuves, la fougue datée de Mireille Mathieu est tout ce qu’il me reste. Je n’habite plus Paris. Mais cette ville reste la mienne. Et sa colère est la mienne. Cette colère est un espoir. Paris peut tanguer mais ne coule pas.

LambchopDamaged-CD-059922807. Lambchop – Paperback Bible (Thomas Messias)
Extrait de “Damaged” – 2006 – Disco-funk
Incapable de hurler ma colère et ma tristesse, j’ai eu envie de me construire un cocon-radeau capable de m’emmener loin, très loin, et de me donner une illusion de sécurité. J’ai trouvé cet ailleurs protecteur dans la voix enveloppante de Kurt Wagner, le chanteur de Lambchop. Grâce à lui, j’ai cru pendant quelques instants qu’il n’arriverait plus rien de tragique, ni à moi, ni à ceux que j’aime, ni aux autres.

08. Moodymann – I Got Werk (Nathan)
Extrait de “Moodymann” – 2014 – House paresseuse
En 3 minutes 29, Kenny Dixon Jr et sa douce et sensuelle voix résume l’histoire de la house music et de Detroit. Il y empile tous ses gimmicks habituels, c’est simplet et presque idiot, répétitif et basique, presque paresseux. Mais quand vous vous prendrez à chanter “I got werk, baby” en plein milieu de votre journée, sans même vous en apercevoir, vous réaliserez le talent de Moody. C’est la victoire de la paresse. Et c’est fantastique.

09. Kangding Ray – Safran (Benjamin Fogel)Cory Arcane
Extrait de “Cory Arcane” – 2015 – Musique électronique
Le cinquième disque de Kangding Ray était annoncé comme un album conceptuel qui conterait les aventures d’un personnage mi-homme / mi-femme au prise avec une société castratrice. Si le français échoue globalement à faire vivre son concept, il propose en revanche un album empli de liberté où les chansons empruntes de nombreuses voies sans jamais démentir l’existence du carcan électronique et le fait qu’au final elles font toute partie du même grand tout. Compte-tenu des événements, c’est ainsi qu’on a envie d’écouter Cory Arcane : comme une démonstration que si nous vivons tous ensemble, nous avons tous la liberté de choisir nos orientations, nos accointances et nos propres chemins.

The_The_Perfect10. The The – Perfect (12″ Remix) (Thierry Chatain)
Maxi single – 1983 – electropop apocalyptique
Dimanche 15, début d’après-midi. Faute d’inspiration musicale, je m’en remets à BBC Radio 6, le nez dans ma TL Twitter. Un titre surgi du passé, quasi pas écouté depuis sa sortie, mais jamais oublié. Une des suites d’accords les plus éculées du rock. Une ambiance de paranoïa visionnaire qui monte et s’installe (sur la version maxi, très différente du mix plus dylanien du single, et bien supérieure). Et ce texte qui tout à coup s’impose à moi, me glace, et fait débloque enfin les larmes coincées : “People turn around with unseeing eyes, they’re looking for something that doesn’t exist./The world you once knew is being eaten up by rust. No-one has time for the past, but still, in God they trust. The future is now, but it’s all going wrong. […] This town ain’t getting like a ghost town, it’s getting like hell.” Rien à ajouter à ce que le tout jeune Matt Johnson (The The, c’est lui)  chantait, il y a 32 ans.

11. Esmerine Esmerine 150The Neighbourhoods Rise (Marc Mineur)
Extrait de “Lost Voices” – 2015 – Post-rock métissé
Se gaver de beauté jusqu’à la gueule, se donner des frissons pour vivre, c’est aussi une façon de survivre, de surmonter. Elle n’est pas répertoriée dans les phases officielles du deuil mais elle le devrait peut-être. Esmerine, c’est un groupe multiforme de Montréal, formé d’anciens membres de Godspeed et Silver Mt Zion. Mais qui reçoit le renfort de musiciens turcs. Et c’est parce que ce mélange-là fonctionne tellement bien qu’on aura toujours des raisons de s’émouvoir, de continuer.

John-Martyn_solid_air

12. John Martyn – Don’t Want To Know (Marc di Rosa)
Extrait de l’album Solid Air – 1973 – folk jazzy
C’est un très beau morceau de folk jazzy tout en douceur dont les paroles prennent un sens particulier dans le contexte actuel. « And I don’t want to know about evil. Only want to know about love », écrit le musicien britannique John Martyn dans Don’t Want To Know. De sa voix veloutée et de sa subtile guitare émergent un sentiment d’humanité et une impression de force à la fois, de façon crescendo jusqu’au point d’orgue de la chanson.

Don Ellis- tears of joy LP13. Don Ellis – Loss (Christophe Gauthier)
Extrait de “Tears of Joy” – 1971 – Jazz
Voilà. À nouveau la stupeur, la sidération, les éditions spéciales interminables sur les chaines d’info en continu, auxquels s’ajoutent la peur pour les amis, ceux et celles « qui pourraient y être », qui traînent souvent ou habitent dans les quartiers visés. Et puis ce poids immense, cette tristesse infinie qui s’abat sur les réseaux sociaux quand des proches annoncent la perte d’êtres chers ou leur combat contre la mort. Je n’ai pas pu écouter grand-chose depuis le 13, du moins pas attentivement. Mais j’ai repensé à ce morceau du trompettiste Don Ellis, remarquable transcription musicale du deuil, de l’après, bande-son appropriée pour ces moments d’impuissance. Le jour du grand départ, ce titre fera partie de ma playlist d’au-revoir.