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Pixar ou la terreur de finir orphelin

Par Alexandre Mathis, le 14-12-2015
Cinéma et Séries

Dans le (très) raté Le Voyage d’Arlo, au moins une scène prouve qu’il ne s’agit pas d’un pur accident industriel hors-sol pour Pixar. Lors du périple du gentil dinosaure, son animal de compagnie, un humain nommé Spot (le principe du film se fonde sur cette inversion humain/animal), admire Arlo parler de sa famille. Le quadrupède a perdu son père lors d’une tempête et une autre vague de la rivière a emmené le jeune Arlo loin de chez lui. Alors, pour signifier ce qu’est une famille à son petit humain, Arlo prend des bouts de bois et les disposent debout, côte à côte. Le premier représente son frère, le second sa soeur et ainsi de suite. A la surprise générale, le sauvageon humain comprend et dispose lui aussi des bouts de bois sur le même principe. Arlo réalise que Spot avait aussi une famille. Or, en couchant les bouts de bois « papa » et « maman », puis en les enterrant, Spot révèle son orphelinat.

« tu es moi, en mieux »

Toute la terreur d’enfance des films Pixar se résume dans cette scène – de loin la plus belle du film : chez Pixar, on a peur de finir orphelin. Mieux, le film donne vie en image à l’expression « cercle familial » puisque les bouts de bois se retrouvent liés par un cercle qui les entoure. Dans une des scènes finales, grandement piquée au premier épisode de l’Age de glace, Spot trouve une famille humaine de substitution. Arlo dessine alors un immense cercle autour des humains. Spot n’est plus un orphelin. Arlo a, de son côté, surmonté ses peurs au cours du voyage et peut retrouver les siens. Pixar a accompli son désir de film de Noël. Ce que propose le studio depuis des années n’est pas très différent d’un Francis Ford Coppola, d’un Judd Apatow, d’un Steven Spielberg ou plus généralement de tout un pan de l’obsession familiale américaine. Même la pub pour enfants n’a qu’un but : montrer qu’on se fait des amis et surtout que la famille sert de fondation au bonheur. Ainsi, avec le jouet dans les Chocapics, l’enfant impressionnera ses camarades et surtout, il petit-déjeunera avec papa et maman. Et si, par mésaventure, l’enfant n’a pas de famille, les céréales combleront un peu son manque.

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Pas question de juger cette obsession ici, juste de constater qu’en dépit d’un premier acte catastrophique, de dialogues affreux et d’arcs narratifs généralement à la peine, le Voyage d’Arlo n’est pas le fruit du hasard. Le bon dinosaure symbolise le petit garçon typique du middle-west qui ne cherche qu’à cultiver son jardin et impressionner les siens. Le rêve d’Arlo est de laisser sa trace, littéralement. Avec son père, sa mère, son frère et sa soeur, il incarne une transcription de la famille parfaite, travailleuse et aux petits soins de son prochain. On a affaire à la famille des Indestructibles au sein duquel un de ses membres n’aurait pas encore trouvé son courage. Car tel est l’autre leitmotiv de Pixar à destination de la jeunesse : puiser en soi le courage nécessaire pour affronter ses peurs. Le film insiste lourdement dessus, en reprenant bien maladroitement ce que faisait magistralement le Roi Lion il y a plus de vingts ans. Tout de même, une phrase ressort ; une phrase si belle qu’on voudrait que chaque père la dise à son fils pour l’encourager : « tu es moi, en mieux ».

Le bonheur seulement intra-muros

Riley, l’héroïne de Vice Versa puisait en elle cette force. Seulement sa prise de conscience se déclenchait pile quand la cellule familiale se retrouvait en grand danger. Elle fuguait et constatait que, hors du cocon, point d’épanouissement. Son mal-être naissait d’un déménagement (donc d’un bouleversement de son équilibre) et se résorbait dans l’acceptation de la nostalgie et des sentiments ambivalents. Arlo fait le même parcours, mais tout extériorisé. Chaque rencontre avec des dinosaures plus ou moins bienveillants façonne son idéal de vie. Et pour Arlo, il s’agit de renouer avec l’idéal du passé, quand la ferme était bien entretenue, que le modèle paternel était rassurant, que la fratrie se chamaillait. Arlo est aussi nostalgique que Riley. A bien y réfléchir, il y a quelque chose d’angoissant à se lover dans un film Pixar : chaque fois, leurs films – souvent très beaux – nous empêchent de voir la bonheur en dehors des murs.

La famille réunie dans Vice-Versa.

La famille réunie dans Vice-Versa.

Dans le troisième Toy Story, les jouets perdent une famille. Happy-end oblige, on leur en trouve une nouvelle dans une scène où le don de Woody, Buzz et les autres par Andy à un autre petit garçon a fait pleurer des millions de personnes. Le petit Ratatouille trouve une forme d’épanouissement dans l’aventure avec les humains en cuisine. Seulement, il ne parvient à l’équilibre parfait qu’en intégrant sa famille à son univers. Même WALL-E, le petit robot esseulé sur la Terre, s’en va renouer avec ses créateurs en perdition. Et que dire évidemment de Là-Haut, où un grand-père acariâtre retrouve un peu de son bonheur d’antan en transmettant son savoir et sa tendresse à un enfant seul ? En cela, l’intégration de Pixar à la machine Disney est on ne peut plus logique. Elle renforce le studio dans sa puissance de frappe à grande échelle. C’est à la fois très beau et un peu effrayant. Elle accueille volontiers les enfants en quête de normalité familiale mais qu’en est-il des autres ? Si l’enfant ne rencontre pas son vieux voyageur avec une maison pleines de ballons, trouvera-t-il une figure paternelle ?

Plus généralement, comment un orphelin pourrait-il se sentir bien devant un Pixar ? Comment lui promettre derrière qu’il peut avoir une vie heureuse et lumineuse même s’il a perdu ceux qui l’on mis au monde ? Comment, enfin, ne pas le contaminer de la terreur de devenir un jour parent si, dans l’hypothèse de disparaître prématurément, ils n’a pas le temps de transmettre tout ce qu’il sait ? Il faut alors en revenir à la merveilleuse phrase du Voyage d’Arlo : « tu es moi, en mieux ». Si un parent a le temps de faire comprendre ça à sa progéniture, alors l’espoir est de mise.