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PS’Playlist décembre 2015 (Laura, Anthony, Thierry, Alexandre)

Les playlists de décembre sont une sélection de trois morceaux par contributeur du site, représentative de leur année 2015 : des chansons actuelles ou anciennes, celles qui sont revenues comme un leitmotiv tout le long de l'année ou des découvertes ; le tout accompagné d'un texte personnel. Elles sont réunies par groupe de quatre ou cinq plombiers.

Par Collectif, le 18-12-2015

LAURA FREDDUCCI

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Joan Baez – 500 miles
Chanson du patrimoine – circa 1960 – Folk
Nara Leão – Joana Francesa
Extrait de la bande originale de Joana Francesca – 1973 – Bossa nova
Monteverdi – Lamento della ninfa
Extrait de “Lamento della ninfa” – 1638 – Classique

Pour finir l’année, j’ai choisi ces trois titres qui relèvent, pour moi, de quelque chose de sacré ; des moments de grâce ou de communion qui sont comme des percées de lumière dans la masse opaque et trop dense du quotidien – rien de déborde, chaque chose à sa place. Et puis d’un coup on tombe sur une intonation hésitante ou un sourire naïf qui laissent entrevoir une brèche. On respire.

De Joan Baez qui reprend ce vieux standard un peu ringard pour en faire une espèce de cantique chanté en choeur, pendant toute la chanson, par la salle entière (on s’attendrait presque à ce qu’ils se prennent tous par les épaules pour osciller de droite à gauche, les yeux humides)…

… à ce moment maladroit et gracieux de Nara Leão qui chante en portugais et en français la saudade, toujours à la limite de la fausse note, sur un fil qui pourrait d’un instant à l’autre se briser…

… en passant par cette scène du film Le Pont des arts, pour cette voix, ces yeux. Parce qu’Eugene Green réinvente une façon de parler de Dieu à partir de musiques profanes, d’une façade de palais ou d’escaliers baroques.

 

ANTHONY

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Low – Lies
Extrait de “Ones and sixes” – 2015 – Depression Core
The Soft Moon – Far
Extrait de “Deeper” – 2015 – Electro-rock bien dark
Slowdive – Golden Hair
Extrait de “Just for a day” – 1991 – Shoegaze impérial en mode live

A la limite de l’ex aequo avec le Carrie & Lowell de Sufjan Stevens au titre d’album le plus tristement beau de l’année, Low l’emporte d’une courte tête grâce à ce Ones and Sixes d’une belle unité, où rien n’est à jeter. Les voix féminines et masculines se succèdent derrière le micro pour chanter une tristesse mélancolique qui parvient à ne pas sombrer dans un pathos trop pesant. Un recueil de moments de grâce pour regarder les feuilles tomber des arbres.

L’un de mes rares concerts de l’année, le 8 novembre. Accompagné d’amis qui se retrouveront coincés trop longtemps au Bataclan quelques jours plus tard, j’avais retrouvé cette sensation (trop négligée ces derniers temps) de prise directe avec le son brut du live, la moiteur des salles de concert, la promiscuité d’une attention partagée par une petite foule pour un artiste qui envoie le bois, avant le débrief devant une (ou plusieurs… plutôt plusieurs…) bières pour se rafraîchir le corps et l’esprit. C’était un concert énergique mais paisible, au fond. Une excellente soirée, comme tous les concerts devraient l’être.

L’année se boucle sur ce qui l’avait commencée… Un onglet ouvert sur mon navigateur depuis le 1er janvier 2015, jour où j’ai traîné sur la rétrospective de Pitchfork, découvrant ce final du concert 2014 donné par Slowdive pour le festival du leader mondial d’opinion musicale. Une prestation sidérante, d’une beauté triste et puissante, alliant retenue et une forme de nervosité distanciée. L’onglet est resté ouvert toute l’année. Je le fermerai certainement le 31 décembre, n’oubliant pas comment le retrouver, et clôturer enfin un millésime 2015 que je ne serai pas fâché d’enterrer.

 

THIERRY CHATAIN

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Deerhunter – Desire Lines
Extrait de “Halcyon Digest” – 2010 – Moment de grâce
Wax Idols – Lonely You
Extrait de “American Tragic” – 2015 – Ballade triste
Lana Del Rey – Terrence Loves You
Extrait de “Honeymoon” – 2015 – Torch song

Je ne suis pas sûr que cette année ait réellement existé. Ou plutôt, je ne crois pas l’avoir vraiment vécue. Même si j’y ai survécu. À peine 2015 avait-elle commencé qu’il y a eu le 7 janvier. Et depuis, ce sentiment d’irréalité, de cauchemar, de flotter entre deux eaux, à moitié noyé, d’avancer dans le brouillard, par réflexe, sans savoir pourquoi, qui ne s’est pas arrangé depuis le 13 novembre. De quoi faire passer au second plan mes petits soucis personnels. Mais aussi ma passion pour la musique. À un tel point que j’ai eu du mal à retrouver spontanément trois titres qui, un jour, me rappelleront 2015, pour le meilleur.

L’exception, le morceau doudou qui m’accompagne depuis les quelques mois où j’ai enfin fini par l’écouter, cinq ans après sa sortie, c’est Desire Lines que je ne peux écouter qu’en boucle depuis sa tardive découverte. La boucle en léger décalage, le mouvement perpétuel, c’est précisément ce que m’évoquent les trois dernières minutes instrumentales de cette chanson où les guitares se lovent l’une contre l’autre en tournoyant. Trois minutes durant lesquelles le temps me semble suspendu, où je me sens doucement flotter comme dans un liquide amniotique, où rien ni personne ne peut plus me toucher. Trois minutes que je voudrais pouvoir prolonger indéfiniment.

Avancer malgré tout quand le ciel vous tombe sur la tête, que vous êtes rongé par la dépression et les crises de panique, se reconstruire, tel est le thème – et le modus operandi – du troisième album de Wax Idols. Toujours seule maîtresse à bord (seules certaines parties de batterie lui échappent), Hether Fortune réalise ici tout son potentiel en puisant à une source gothique eighties épurée pour l’inspiration, sans que l’atmosphère prenne le pas sur des chansons qui se vrillent dans le cerveau.

Je me suis fait cueillir à l’ancienne – par surprise, à la radio – par cette torch song, alors même qu’une paire d’écoutes de l’album m’avaient laissé un peu dubitatif. Une instrumentation sobre, un chant au diapason qui n’en rajoute pas dans la retenue ostentatoire et atteint à une vraie sensibilité, une petite allusion au major Tom, et voilà que je me sens tout chose. Cotonneux. Décidément…

 

ALEXANDRE MATHIS

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Kendrick Lamar – King Kunta
Extrait de “To Pimp a Buterfly” – 2015 – Hip-hop
Max Richter – Dream 3 (in the midst of my life)
Extrait de “Sleep” – 2015 – Envoûtement de 8 heures
The Beatles – All you need is love
Extrait de “Yellow Submarine” – 1969 – Doudou pop

Nous ne sommes pas faits pour ça. Pas faits pour suffoquer, pour se relever sans cesse, pour hurler, pour s’égosiller que l’on veut vivre, qu’on a pas mérité ça. Nous ne sommes pas faits pour tout ce tumulte. Nous sommes faits pour vivre, simplement, à boire, rire, regarder les gens s’aimer, danser, rire, se ronger les ongles pour un entretien d’embauche qu’ils auront car on les sait talentueux. Nous sommes faits pour nous engueuler sur la politique, sur la présomption d’innocence des stars, sur le marketing Star Wars, sur notre morceau préféré du génial album de Kendrick Lamar. D’ailleurs, quiconque ne répondra pas King Kunta aura tort. Vous voyez, vous êtes faits pour fulminer devant cet avis imposé. Parce que : pour qui je me prends à choisir pour les autres quel est la meilleure piste du Kendrick ?

Nous étions fait faits pour ça, mais 2015 aura été le cauchemar absolu. Je ne vais pas revenir sur les bains de sangs, ces traumas collectifs qui auront sonné le glas de nos innocences déjà presque envolées. Non, cette année pour moi, c’est celle de la gravité et de l’assagissement forcé. Je n’ai pas vingt-huit ans que, mentalement, j’ai passé la trentaine. J’ai changé de sphère. Mon monde a volé en éclats, parfois par choix, parfois par survie. Je reconstruis tout ça dans le chaos, la tendresse et l’espoir. Je puise dans l’instant ce qu’il me reste de rêve. Alors, pour échapper à la gravité, je cherche l’apesanteur. Max Richter m’aura été d’une grande aide avec son génial album Sleep. Je crois que c’est le seul album qui m’a concrètement accompagné dans les moments les plus cruciaux 2015. A la fois là pour m’endormir, pour me faire rêver un peu d’une galaxie idéale mais aussi pour synchroniser mes battements de cœurs sur des pulsations saines.

J’ai longtemps cherché comment trouver un remède à tout ça. Qu’est-ce qui me ferait me lever le matin ? C’est con à dire et pourtant : il n’y a que l’amour. Et l’amour sous toutes ses formes. La bienveillance des autres, les regards, l’exaltation des corps : je reviens aux origines. « All you need is love », chantaient les Beatles. En plus, c’est la plus belle utilisation de la Marseillaise de l’Histoire. Alors voilà, revenons-en aux Beatles, à leur pop immédiate qui, par le rappel d’un tag un matin dans Paris scandant le titre phare, m’aide à me remémorer pourquoi j’ai déjà hâte de me lever en 2016. Malgré le sang, malgré l’angoisse, malgré les défis à priori insurmontables, tout compte fait, je souris.