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Le film-dossier, comme le biopic, est une formule à l’efficacité et aux retombées garanties à tous les niveaux de la chaîne – les comédiens y trouvent de beaux rôles à interpréter, les producteurs des réalisations naturellement bien placées dans les courses aux récompenses et aux honneurs, les spectateurs des histoires fameuses, accessibles, jouant sur des ressorts émotionnels directs. Il y a incontestablement de tout ça dans Spotlight, où Michael Keaton et Mark Ruffalo cabotinent gaiement (mais talentueusement) dans leurs numéros d’imitations des modèles de leurs personnages ; où les nominations aux Oscars sont au rendez-vous ; et où ce que le récit met en jeu ne souffre aucune ambiguïté. Quinze ans après les faits, Spotlight rejoue l’enquête du Boston Globe ayant abouti à la révélation du système mis en place par l’Église catholique pour dissimuler les cas de viols commis par quantité de prêtres, et protéger ces derniers des poursuites et des sanctions. Les places des bons (les journalistes), des brutes (l’Église), des truands (les avocats qui empochent leur commission sur les arrangements financiers confidentiels) et des victimes sont attribuées de manière on ne peut plus claire. Cela n’empêche pas le film, classique et fort, d’être une belle réussite brillant de nombreux feux dans sa tenue d’ensemble autant que dans ses détails.

Au premier rang des qualités de Spotlight, il faut citer sa constance à ne jamais en rajouter par rapport au caractère potentiellement édifiant de son histoire. L’auteur et réalisateur Tom McCarthy laisse sur le bas-côté l’artillerie lourde des émotions et manœuvres grossières auxquelles l’affaire dont il est question entrouvre la porte : cris d’orfraie et indignation quant au mal qui a été perpétré, sensationnalisme et prospection sordide de sa matérialisation. Le film préfère prendre pour modèles ses protagonistes, en reproduisant à l’écran non seulement le sujet de leur investigation mais aussi et surtout leur manière exemplaire de l’aborder – qui est la traduction de leur éthique de reporters, et d’individus, avec pour boussoles l’intelligence, l’honnêteté, la pudeur. Ce sont ces valeurs qui permettent le bon exercice d’un contre-pouvoir tel que le journalisme, et ce faisant garantissent sa pérennité et sa légitimité face aux dérives et délits des systèmes qu’il dénonce. Spotlight en fait le fil conducteur de sa progression, jusqu’à son issue : qui prend la forme non pas de la satisfaction utopique d’une victoire complète sur les maux qui gangrènent la société, mais de la nécessité de poursuivre sans relâche le combat pour les exposer et les rectifier.

La question qui sous-tend son récit est celle de l’attitude à adopter dans l’absolu pour rendre le monde, peut-être, un peu meilleur, ou du moins empêcher qu’il n’empire de trop

Fataliste mais combatif, le film a conscience que toute organisation ou institution s’accaparant trop de pouvoir devient un problème plutôt qu’une solution, une mafia en puissance qui menace l’équilibre délicat de notre existence démocratique ; et que les contre-pouvoirs sont là pour assurer, inlassablement, le mouvement de rappel avant que le fil ne se rompe. Ici cette institution est l’Église mais Spotlight n’est pas qu’une vendetta contre celle-ci, son horizon est bien plus large. La question qui sous-tend son récit est celle de l’attitude à adopter dans l’absolu pour rendre le monde, peut-être, un peu meilleur, ou du moins empêcher qu’il n’empire de trop. Rarement évidents, les chantiers où agir pour le maintenir à flot se repèrent plus souvent au moyen de détails – lesquels, comme dans une bonne enquête journalistique, ouvrent des pistes passionnantes et font résonner Spotlight avec quantité de faits ou de films a priori éloignés de lui. Ce peut être ici une réplique sur l’importance de faire tomber le système vicié tout entier, et pas juste certains de ses agents, qui rappelle ce qui n’a justement pas été fait lors de la crise des subprimes ; là un dialogue se plaçant dans le prolongement du Pont des espions, quand un avocat et un journaliste échangent, comme le personnage de Tom Hanks et un agent de la CIA chez Spielberg, à propos de ce qui rend un citoyen américain – l’adhésion à des valeurs communes, au-delà des origines communautaires restrictives (sur des bases religieuses, ethniques ou autres). Il est plus facile d’oublier ce principe, aux USA ou dans tout autre pays, que de rattraper les conséquences de ce glissement.