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S’aventurant sciemment dans l’escalade sémantique, alors qu’Olivier Cachin qualifiait PNL de “phénomène du rap français”, l’estimable Sylvain Bertot (auteur en 2014 de l’ouvrage  « Rap indépendant » aux éditions Le mot et le reste) a choisi pour sa part d’en parler en ces termes : “PNL est le miracle du rap français”. Rien de moins. Or ce que l’auditeur remarque d’emblée, avec ce Monde Chico emprunté à Pacino-Scarface, c’est ce “Non mais allô” surgissant tel un gimmick revendicatif dans « Le Monde ou rien ». Le décor est planté. Une sorte de grand écart entre NRJ12 et Les Douze salopards.

Il sera toujours malaisé de définir avec précision l’attrait de ce groupe et c’est pourquoi il est si tentant de se remettre au qualificatif de “miracle”, car il s’avère bien vite qu’il faut accorder du crédit, parfois aveuglement, à ce duo à trois lettres. PNL pour “Peace & Lovés”. Sur leur premier logo figurait le symbole de l’euro dans le « e » de Peace et celui de la paix dans le « o » de Lovés, mot d’argot désignant les billets qui sont désormais violets/violés en grosse coupure (confer le titre « Dans ta rue »). On brouille les pistes, on brouille l’écoute, on file des coups dans les boules.

“Des fois je rêve de la mer et je traîne seul sur Paname” : les deux frères de la cité des Tarterêts à Corbeil, Nabil dit N.O.S. et Tarik dit Ademo, ajustent leur pedigree à leur imaginaire. Et non l’inverse. “Plus on vend plus on s’élève” psalmoldie le morceau final « Dans la soucoupe ». Leur marque de fabrique – une forme de lucidité sans gloire – s’imposait déjà sur leur précédent et premier album Que la famille (“Je ferme les yeux je vois la merde / J’ouvre les yeux je vois la merde / Je connais pas de ler-dea qui vend de la mort à perte”). Vendre des substances est une répétition dont la monotonie appelle une rédemption. Oui mais voilà, ce programme scorsesien en diable se déroule sur fond de références au Roi lion, à Dragon Ball Z et aux Teletubbies : la mélancolie d’un affranchi mâtinée de celle du Gameboy.

Leur flow est fait d’entorses et de tentatives plus ou moins fantasques, sans que la notion d’expérimentation ne s’applique jamais à eux dans le sens aristocratique du terme.

PNL est un groupe qui suscite de nombreuses questions et l’on ne peut s’empêcher d’interroger leur place au sein de l’histoire du rap. Savent-ils seulement qui est Lil B, apôtre élégiaque d’un sous-genre, le cloud rap (mélange de rythmes planants et de paroles crues), dont la majorité de leurs productions s’inspirent ? Font-ils preuve d’ironie quand ce sax ténor à-la-Careless Whisper résonne dans « Porte de Mesrine » ? Quelle somme de connaissances est nécessaire pour être en mesure véritablement d’inventer quoi que ce soit ? Un historien tatillon de la chose rapologique pourrait dénoncer des trous dans la raquette, mais la fratrie m’a pas prévu de séances de justifications. C’est à prendre ou à laisser. Les frangins sont des faquins (“Je mens quand je dis ça va”, nous glissent-ils dans « Oh lala »).

Leur flow est fait d’entorses et de tentatives plus ou moins fantasques, sans que la notion d’expérimentation ne s’applique jamais à eux dans le sens aristocratique du terme. Leurs “p” valent des “b” (on entend ainsi dans l’entame de l’album “Je suis dans ma pulle / Dégage ton poule”), mais on sent que ça n’est pas tout à fait leur “pb”. Ils laissent opérer l’alchimie de lyrics âpres et graves sur un fond de plages éthérées, une formule amenée à en inspirer beaucoup, à commencer par le Bruxellois Hamza avec sa récente mixtape H24 mêlant prods joviales et discours fiévreux.

L’entrée de PNL dans la galaxie du rap est une sidération semblable à celle laissée par P’tit Quinquin, la série ch’ti de Bruno Dumont, dans l’univers du cinéma. À chaque fois, on ne saurait dire ce qui prime entre la stupeur et l’étrangeté. La folie ou l’euphorie. Les meilleurs cocktails sont ceux qui oublient les ingrédients et les dosages. Ce qui donne, passé au shaker de la fratrie PNL : “Mais quand tu dis vous tu cites qui en fait ? / Prononce mon blaze j’aimerais bien rigoler”. Des blazes que la rue n’a pas fini d’aimer. Et comme après chaque miracle, car c’en est bien un, le silence règne.