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Anti-Rihanna ?

Par Guillaume Augias, le 06-04-2016
Musique

Il y a dix ans – deux lustres à peine –, nous ne connaissions rien de Rihanna. Rien, avant qu’elle ne s’associe à Jay-Z pour danser sous une pluie dollars ; un Jay-Z qui  rappait alors : « Avant on sortait nos parapluies pour affronter le mauvais temps / Maintenant on vole en première pour changer la météo ». Dix ans de vie d’une étoile. Dix ans de trajectoire lumineuse et de poussière d’astre éparse au fin fond de la galaxie. On dit que les étoiles ne meurent pas, mais qu’elles s’effondrent sur elles-mêmes. Est-ce là le propos d’Anti ?

Dans une scène du film d’animation Home (En route) sorti en 2015, l’héroïne – dont les traits et la vie sont inspirés de Rihanna qui à son tour lui prête sa voix et ses chansons – explique à un gentil alien qu’à l’école elle était toujours vue comme la fille bizarre de la Barbade, mais que sa mère se démenait seule pour payer logements et déménagements et que c’était bien là l’essentiel. Cet inoffensif story telling semble trouver dans le dernier opus de la chanteuse un contrepoint majeur : ce que l’on reçoit ne doit pas toujours nous suffire et le regard des autres est la véritable épreuve du feu. Encore faut-il savoir de quel regard on parle, qui sont les autres aux yeux desquels on s’expose.

Et à cet égard, la carrière haute en couleurs de la chanteuse caribéenne n’a pas manqué de malentendus, que ce soit dans sa vie privée – Chris Brown et sa vision néandertalienne de la femme – ou dans sa vie publique. Citons ici le tube « Diamonds » écrit par l’Australienne Sia. C’est un autre Australien, Josef Salvat, celui qui a enfin permis de comprendre les paroles de «Week-end à Rome », qui en le reprenant donnera à ce morceau toute la profondeur que Rihanna semblait enrager de ne pas trouver, un peu plus à chaque occurrence du refrain.  Elle paraît ainsi souvent prisonnière de son univers, de sa tessiture et de ses poses provocantes comme autant de passages obligés. Autant de contraintes qui constituent bientôt une posture acrobatique, gênant l’artiste au moment de dire qu’elle n’est pas là où on l’attend.

L’émotion n’est pas feinte de découvrir celle qui gère une véritable industrie  s’effacer enfin derrière son projet

D’où la tournure que prend un album comme Anti où plusieurs titres viennent rabrouer en leur centre des velléités de carton bâti pour les clubs, tel « Woo » dont l’étonnante construction donne à penser à une sorte de palimpseste, une matrice éternellement remaniée, véritable juke-box à lui seul sur lequel se succèdent plusieurs hits malmenés avant le résultat final. Dans le single « Work »  elle ne fait jamais que parler boutique avec le patron du game actuel (Drake), mais avec l’entêtant « Kiss It Better » elle a l’idée soudaine d’évoquer ce qui semble l’instrument de George Harrison sur « While My Guitar Gently Weeps », dans un riff que l’on entend aller et venir sans fin au service d’une ode mi-disco mi-anti-disco, portant fièrement toute l’indécision de ce disque.

Car qui peut dire ce que Rihanna cherche avec cette nouvelle livraison ? Faire taire les détracteurs, faire taire ses fans, ou bien les faire taire tous ? Leur demander de ne pas la regarder pour ce qu’elle représente mais pour ce qu’elle a à dire, pour ses choix de production plutôt que pour ses choix de tenues ou de compagnon ? Avec le titre « Same Ol’ Mistakes », l’émotion n’est pas feinte de découvrir celle qui gère une véritable industrie  s’effacer enfin derrière son projet. Sur le visuel d’Anti, on voit  une jeune Rihanna couronnée, mais dont la couronne a glissé sur les yeux et se trouve gravée d’une inscription en braille. Rihanna se présente à nous comme la figure d’un Icare repenti, aveuglée par son propre soleil.