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La fille inconnue : la société de la honte

Film présenté le mercredi 18 mai 2016 en sélection officielle du 69ème festival de Cannes (compétition).

Par Lucile Bellan, le 19-05-2016
Cinéma et Séries
Cet article fait partie de la série 'Cannes 2016' composée de 20 articles. En mai 2016, la team cinéma de Playlist Society prend ses quartiers sur la Croisette. De la course à la Palme jusqu'aux allées de l'ACID, elle arpente tout Cannes pour livrer des textes sur certains films forts du festival. Voir le sommaire de la série.

Ça commence comme une urgence, un enfant à terre dans un état qui évoque la crise d’épilepsie. Rien de plus que le quotidien pour Jenny Davin, médecin généraliste, incarnée par Adèle Haenel. Arrive ensuite l’élément perturbateur : une dispute puis un détail de ceux dont on sait au fond de ses tripes qu’il annonce un drame. Un regard partagé, le pressentiment est confirmé. Déjà le docteur a perdu de sa superbe. Elle doute, s’enfonce et lutte.

La fille inconnue est un film engagé. Il oppose celle qui s’engage contre l’indifférence (autant que pour se dégager de sa culpabilité) et ceux qui baissent les yeux et répondent à une mort indigne par un silence gêné. C’est un film qui appelle à la réaction, à l’indignation, à la culpabilité enfin à tout sauf à l’indifférence. C’est un film qui incite à être vivant.

L’enquête est une excuse, un prétexte. C’est une erreur de réduire le film à un polar, quête didactique qui n’a pas grand intérêt. Parce que c’est minimiser la confrontation entre celle qui agit et ceux qui se baissent les yeux, confrontation accentuée par l’écart entre le bruit et le silence. Partout, le médecin montre la photo granulée sur son portable. Partout la même réponse et la confirmation que, dans la ville, nous sommes tous des inconnus. Chaque « Vous avez déjà vu cette jeune fille ? » auquel on répond par une tête baissée est un l’argument martelé de l’injustice.

En héroïne malgré elle, Adèle Haenel n’est pas uniquement mue par des sentiments nobles. Si elle fait le choix de mettre entre parenthèses sa vie et sa carrière pour une femme qu’elle n’a même jamais croisé, c’est parce qu’elle porte sur ses épaules le poids de la seule fois où elle a refusé de l’aide. C’est avec son silence à elle, qu’elle n’est pas prête à vivre, ces quelques secondes où elle a décidé de se taire et qui ont été fatale à une jeune fille. Et, très vite, pour les autres, c’est son refus du silence qui dérange. Son geste qui veut faire le bien est une accusation non exprimée et déclenche peu à peu, à nouveau, la violence.

Finalement, la résolution de l’enquête est presque secondaire. Ce qui compte vraiment c’est le cheminement de sa quête personnelle dont on n’est jamais tout à fait sûr, qu’à force de flirter avec la folie, elle ne mène pas au suicide. Malgré son engagement au quotidien, malgré les sacrifices et le bien qu’elle fait, le docteur Davin est convaincu que ce n’est pas assez. Parce que, sans s’en rendre compte, elle compense toutes les petites mesquineries des autres, tous ces gestes sans importance que l’on fait par égoïsme ou par fatigue et qui mènent invariablement au drame.

Ce portrait attise la colère et la honte, l’envie viscérale de changer les choses.

La société, sous pression, étouffe les plus faibles et les sacrifient pour la survie des autres. Dans la banlieue de Liège, comme partout ailleurs, il y a de la prostitution, des vieux qui souffrent, des enfants malades, de l’alcoolisme et puis des explosions de violence qui n’étonnent plus personne. C’est un portrait glaçant de plus que les frères Dardenne dressent de notre société. Mais ce portrait attise la colère et la honte, l’envie viscérale de changer les choses. Ce n’est pas un portait qui larmoie mais un portrait qui oblige à relever la tête, à retrouver la fierté, à refuser le silence. La fille inconnue, comme acte militant, ne manque pas de courage.

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