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Tramontane : et retrouver la vue

Film présenté le mardi 17 mai 2016 à la Semaine de la Critique du 69ème festival de Cannes.

Par Thomas Messias, le 22-05-2016
Cinéma et Séries
Cet article fait partie de la série 'Cannes 2016' composée de 20 articles. En mai 2016, la team cinéma de Playlist Society prend ses quartiers sur la Croisette. De la course à la Palme jusqu'aux allées de l'ACID, elle arpente tout Cannes pour livrer des textes sur certains films forts du festival. Voir le sommaire de la série.

Parmi les sujets universels qui ont traversent l’histoire du cinéma sans jamais être délaissés, il y a la quête d’identité. Nombreux sont les êtres humains, les familles, voire les pays tout entiers menant soudainement ou depuis toujours une longue et parfois douloureuse enquête sur leur passé et leur histoire. Des thématiques particulièrement présentes dans les contrées qui ont été touchées par la guerre au cours du dernier demi-siècle. Il faut souvent rebâtir sur des ruines, qu’il s’agisse d’une existence ou d’un arbre généalogique. Bien que toutes différentes, les quêtes d’identité ont hélas parfois tendance à toutes se ressembler. Pour ceux et celles qui s’interrogent, le cheminement semble unique. Mais les voyages intérieurs n’oit parfois de singularité que pour celles et ceux qui les vivent. C’est un peu le cas pour le héros de Tramontane, dont on mesure l’état de bouleversement à mesure que les révélations se dressent sur son passage, sans pour autant parvenir à éprouver une quelconque forme d’empathie.

Jeune chanteur aveugle, désireux d’accompagner son groupe dans sa tournée européenne, Rabih se trouve bloqué dans une spirale administrative cauchemardesque : on lui apprend que sa carte d’identité est fausse, que les papiers lui permettant d’obtenir un passeport sont introuvables, et que même l’acte de naissance censé l’aider à obtenir le précieux sésame n’est pas là où il devrait être. La simple perplexité laisse place au cataclysme : acculée, la mère de Rabih lui apprend qu’il n’est pas son fils biologique, et qu’il est né ailleurs, sous un autre nom. Le parcours du combattant administratif se mue alors en une course-poursuite aux enjeux doubles : il s’agit non seulement de tenter de déterminer qui il est et pourquoi il a été confié à une famille adoptive, mais également d’obtenir les fameux papiers qui lui permettront d’aller exercer son art en Europe.

Le bilan des opérations, c’est que le film de Vatche Boulghourjian manque soit de mise en scène, soit d’émotion. Il y a bien sûr cette façon de faire progresser l’histoire via des détails visuels ou de jouer sur la netteté et le flou de l’image, mais ces partis pris discrets semblent trop insuffisants pour une telle entreprise. On songe parfois à ce qu’Ashgar Farhadi (époque Une séparation) ou Nuri Bilge Ceylan (celui d’Uzak ou Winter sleep) auraient pu faire d’un tel récit : la réalisation heurtée du premier aurait permis d’exploiter tout le potentiel tapageur de cette histoire, tandis que la contemplation inquiète du second aurait donné lieu à un questionnement intérieur teinté de poésie urbaine. La réalisateur libanais, lui, semble presque trop respectueux vis-à-vis de son sujet et de son héros, qu’il traite avec un recueillement coupable. À l’écran, rien ne se produit de plus que les simples faits. On aurait voulu sentir une Beyrouth frémissante, officiellement sortie de la guerre mais toujours si meurtrie, transpercée par mille histoires personnelles douloureuses.

La pudeur est une qualité touchante jusqu’à ce qu’elle devienne un encombrant défaut.

L’autre option, qui aurait certes été moins festival de Cannes, aurait été de foncer avec moins de retenue dans le mélodrame. On imagine l’angoisse qu’il y a dans le fait d’apprendre que ses parents ne sont pas ses parents, que les premières semaines de son existence ont été vécues dans le chaos. On aurait aimé que Boulghourjian et son acteur, Barakat Jabbour, soient plus communicatifs. Mutique, souvent impassible, ce dernier joue la douleur de façon rentrée, mais cette dignité ostentatoire ne crée rien d’autre qu’une indifférence polie. La pudeur est une qualité touchante jusqu’à ce qu’elle devienne un encombrant défaut, qui empêche de se livrer. Et malgré une longue scène musicale finale voulue comme une délivrance permettant d’ouvrir les vannes, Tramontane en reste au stade de petit objet timoré qu’on aurait aimé secouer comme un prunier pour en cueillir les précieux fruits.

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