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Le fils de Jean : dans la lignée

Par Esther Buitekant, le 26-09-2016
Cinéma et Séries

Philippe Lioret est un cinéaste délicat. Ce n’est pas un défaut mais ce peut être une limite. Celle de la scène qui s’éternise ou de dialogues prévisibles. Mais toujours il donne le temps. Il y a un peu de tout cela dans Le fils de Jean : beaucoup de délicatesse, quelques scènes insignifiantes mais aussi le temps offert aux personnages pour se parler, se toucher et finalement se reconnaître. Pourtant le temps manque à Mathieu, parti à Montréal enterrer un père qu’il n’a pas connu et rencontrer des frères qui ignorent son existence. Il est le fruit d’une histoire d’un soir et sa mère, morte huit ans plus tôt, est toujours restée muette sur ses origines. C’est Pierre, le meilleur ami de son père, qui l’appelle pour lui annoncer la mort de ce dernier. “Il s’appelait comment ?” demande Mathieu. Lui, fils de personne, devient alors le fils de Jean.

Ce qui frappe dans ce personnage, interprété par Pierre Deladonchamps, c’est son absence totale de colère. Il ne connaîtra jamais son père alors il veut connaître les vivants. Il a une belle façon de dire “mes frères”, avec l’accent de l’enfance. Comme si tout n’était pas perdu, que cette fratrie était la chose la plus réelle et naturelle qui soit. Face à lui, Pierre raconte le bateau au milieu du lac, la noyade et ce corps qu’on ne trouve pas. Gabriel Arcand est magnifique dans ce rôle d’ami taciturne à qui on a confié une mission trop lourde pour lui. Il s’en acquitte malgré lui et finit par héberger Mathieu qui est accueilli à bras ouverts dans un foyer chaleureux. Comme dans Je vais bien ne t’en fais pas ou Welcome, Philippe Lioret filme avec mélancolie le quotidien ordinaire de gens ordinaires. Mais, à l’inverse de Lili ou Simon, Mathieu est un homme plein d’espoir. Ils sont rares, ces personnages simples et beaux. Les tourments et les peines sont là, tapis derrière le regard bleu et bienveillant. Mais ne sont pas un obstacle au bonheur.

Comment enterrer, dans tous les sens du terme, un homme dont le corps est introuvable ?

Pendant le premier quart du film on se demande où veut aller Philippe Lioret, qui s’est ici librement inspiré du livre de Jean-Paul Dubois Si seulement ce livre pouvait me rapprocher de toi. Deux histoires qui n’ont finalement que peu de choses en commun, en dehors des grands espaces canadiens et de la quête d’un père. Un instant on imagine que le film va verser dans le thriller. Comment enterrer, dans tous les sens du terme, un homme dont le corps est introuvable ? Pierre accepte que Mathieu l’accompagne dans ses recherches en compagnie de ses deux frères, à condition qu’il taise son identité. Mais Mathieu comprend vite que personne ne pleure le patriarche. La fratrie tant espérée se disloque, entre coups de poings et batailles d’égo. On voit, en même temps que lui, que Mathieu n’a rien à faire là.

Arrivé à ce moment de l’histoire, le film navigue entre deux eaux, se perd un peu, hésitant à laisser éclater les secrets dissimulés dans les silences de Pierre. Les excellents seconds rôles, notamment Catherine de Léan qui interprète Bettina (la fille de Pierre), permettent à certaines scènes de ne pas sombrer dans la banalité. Alors on regarde les liens se nouer entre ces inconnus, et on attend. Le film est traversé par une sorte de passivité qui pourrait être insupportable. Mais cette lenteur est nécessaire. Il faut plus qu’un voyage pour abolir une vie de non-dits.

Il veut redevenir un fils et s’inscrire, enfin, dans une lignée.

La question de la paternité est au cœur du film, et pas seulement parce que Mathieu a fait 7000 kilomètres pour se rapprocher du sien. Il pose la question de la difficulté, l’impossibilité même, d’être père. Philippe Lioret n’a pas peur d’être sentimental et nous permet d’être au plus près de ses personnages et de leurs émotions, notamment celle de trouver une famille alors qu’on pensait cela impossible. Un thème qui est au cœur de son cinéma. De la famille désintégrée de Je vais bien ne t’en fais pas à ce rôle de père de substitution que voudrait tenir Vincent Lindon dans Welcome. Ici Mathieu est un père présent et concerné. Mais il sacrifie la compétition de judo de son petit garçon pour partir à Montréal se confronter à l’absence de son propre père. Il veut redevenir un fils et s’inscrire, enfin, dans une lignée.

Puis finalement, les corps parlent et les langues se délient, jusqu’à la révélation attendue. Mais cette résolution n’est pas une fin. Au contraire, elle offre aux personnages des possibilités inespérées. Le stéthoscope de Pierre posé sur le torse de Mathieu devient le vecteur de ce qu’on ne peut pas dire. Le cœur qui bat et l’oreille qui écoute entament un dialogue silencieux. On peut trouver ça simpliste, c’est simplement beau. À l’image de ce film à la fois pudique et généreux.