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marie-flore-chevrotine01. Marie-Flore – Chevrotine (Arbobo)
Extrait de “Chevrotine” – 2016 – Spleen et idéal
Inventer, composer, créer, c’est déjà au-dessus de ce que nous, le commun des mortels, savons faire. Se réinventer, c’est beau. Marie-Flore avait séduit, intrigué, toujours dans la langue de Lou Reed et de Peter Doherty. Le plus troublant est qu’on a l’impression qu’en passant au français, elle a changé son chant, plus guttural mais toujours aussi chaud et caressant. Marie-Flore sort la chevrotine, celle qui permet de “viser la poitrine”. Et avoir en invité Baxter Dury pour la coda du morceau ajoute une de ce touches de style qui n’étonnent plus chez Marie-Flore. Comme mise en appétit avant son nouvel album en 2017, elle pouvait difficilement faire mieux. Il y a le talent. Il y a la classe. Il y a celles qui ont les deux.

The_Modern_Lovers_(album)02. The Modern Lovers – Roadrunner (Christophe Gauthier)
Extrait de “The Modern Lovers” – 1976 – rock pré-punk et post- Velvet
Il aura fallu une écoute surprise et furtive d’Egyptian Reggae pour que je replonge dans l’oeuvre des Modern Lovers de Jonathan Richman. Depuis, Roadrunner refuse de quitter ma boîte crânienne. Morceau d’ouverture du premier album du groupe, c’est un classique absolu : Richman qui compte jusqu’à six en guide d’intro, un riff sur deux accords doublé à l’orgue Vox, un pompage assumé du Velvet (un croisement entre Sister Ray et Foggy Notion)… et des paroles qui donnent envie de prendre le premier avion pour Boston, de louer une bagnole et de rouler toutes fenêtres ouvertes avec la radio à fond sur la Route 128. On attend toujours le groupe qui saura nous chanter avec autant de passion les éoliennes et les lignes à haute tension le long de l’A10 en traversant nuitamment la Beauce.

 

DCD03. Dead Can Dance – Enigma of the Absolute (Anthony)
Extrait de “Spleen and Ideal” – 1985 – Musique mystique
Chez les amateurs de Dead Can Dance, on distingue ceux qui vénèrent les titres chantés par Lisa Gerrard de ceux qui préfèrent les chansons interprétées par Brendan Perry. Je penche pour Monsieur. Lisa Gerrard, mystique de chez mystique, peut parfois agacer, la faute à un lyrisme exacerbé qui vient s’empiler sur une musique déjà chargée en grandiloquence. La voix de Brendan Perry atténue la sensation de se trouver dans l’intégrale de Game Of Thrones tout en assumant pleinement le caractère médievalo-liturgico-new wave de leur musique. J’ai donc choisi mon camp, et ma décision est irrévocable.

 

04. Car Seat Headrest – Not What I Needed (Benjamin Fogel) car_seat_headrest_teens_of_denial
Extrait de “Teens of Denial” – 2016 – indie pop
On connait ce genre d’histoire par cœur. Ça commence toujours avec  un jeune homme d’une vingtaine d’année qui fait de l’indie pop lo fi seul dans sa chambre. Il joue pour le fun et compose par passion, sans rien en attendre de plus. Il poste néanmoins ses créations sur Bandcamp, parce que « bon on ne sait jamais », et, vu qu’il a quand même un certain talent, un label finit bel et bien par le repérer et le signer. Le projet solo se transforme alors en groupe, les concerts s’accumulent, et le premier album sort – en réalité une compilation des meilleurs titres composés par le jeune homme dans sa chambre – suivi rapidement par un vrai premier/deuxième disque censé incarner la nouvelle dynamique générée par le groupe. Comme tout le monde fait bien son travail, le résultat s’avère souvent sympathique. On ne fait pas trop la différence entre les anciennes et les nouvelles chansons, mais on prend un plaisir borné à écouter l’ensemble. Pourtant parfois, il se passe quelque-chose de plus. C’est le cas avec Will Toledo et son groupe Car Seat Headrest. À 24 ans, après avoir suivi le parcours décrit plus haut option Ariel Pink (comprendre qu’il a publié sur Basecamp 12 albums en quatre ans), il publie aujourd’hui Teens of Denial sur le label Matador. La réussite est totale : tout en restant dans les clous de ses productions passées, il propose une pop indé qui rappelle successivement le meilleur des Strokes, de Weezer et de White Fence. Tout s’assemble naturellement et les tubes se succèdent. Bref on a beau connaitre ce genre d’histoire par cœur, on est heureux de les réentendre à l’infini.

 

05. The Kills – Doing It To Death (Isabelle Chelley)téléchargement
Extrait de “Ash & Ice” – 2016 – rock bluesy lo-fi
Est-ce l’intro, collision réussie entre une rythmique synthétique et une guitare qui a envie d’en découdre ? La voix d’Alison Mosshart, un peu essoufflée ? La structure du morceau, lancinant comme il faut, parfait pour évoquer la lassitude de ceux qui poussent trop loin le bouchon, mais sentent qu’ils sont condamnés à ne s’arrêter que quand ils seront morts ? Le premier extrait du cinquième album des Kills pourrait être une caricature de chanson sur les excès du rock’n’roll entre les mains d’un groupe moins doué et ambitieux qu’eux. Jamais facile, un peu bancale, Doing It To Death titube avec grâce, entre descente d’adrénaline et épuisement de fin de soirée.

 

Angel-Olsen-My-Woman06. Angel Olsen – Sister (Thierry Chatain)
Extrait de “My Woman” – 2016 – Laurel Canyon rock revisité
Angel Olsen est une anguille. Pas question de la coincer dans un genre, au grand dam de ceux qui en avaient fait la nouvelle égérie d’un folk rêche. “Sister”, la pièce de résistance de son dernier album, peut sonner superficiellement comme du Fleetwood Mac au sommet de sa période californienne, et plus particulièrement comme une chanson de Stevie Nicks – qu’elle adore. Mais c’est anecdotique, une fausse piste. Comme le titre. Impossible  de donner une signification précise à ces huit minutes, ce qui laisse toute sa place à l’auditeur pour embarquer dans ce qui pourrait être une odyssée intime. On pressent que les courtes phrases mélodiques répétées comme des mantras expriment une stase, une sensation de tourner en rond, pendant la première moitié de la chanson, jusqu’à un pont fragile, franchi sur la pointe des pieds, vers un ailleurs plus flamboyant ou une illumination, dans un rodéo de guitares électriques de plus en plus débridées. Mais avec toujours un doute. “All my life I thought I’d change” (ou “I thought had changed”, selon la pochette) sont les seuls mots répétés par la chanteuse durant toute cette partie. Illusion, réalité ? Allez savoir. La seule certitude, c’est que le grain de voix un peu voilé d’Angel Olsen, la moindre de de ses brisures, de ses modulations, donne le frisson.

sigur-ros07. Sigur Rós  Untitled #3 (Samskeyti) (Lucile Bellan)
Extrait de “()” – 2002 – post-rock
Il y a des ruptures qui marquent. On croit que les années referment les blessures, on se sent plus fort, une autre personne même. Et puis le même petit frisson d’angoisse subsiste quand on croise son regard. Je me souviens précisément de la découverte de ce morceau, allongée contre lui quand son corps était le seul qui compte, dans son appartement d’étudiant, avec le BZ et la kitchenette. Je me souviens du beau et du souffle créatif qu’il mettait dans ma vie. Je me souviens de ces années éthérées, moi qui ai tant besoin d’organique. Ce morceau, 6 ans après notre rupture, il me transperçait encore comme son regard, m’oppressait la poitrine. C’était un rejet, un déni. Et puis j’ai accepté cette angoisse, embrassé ce traumatisme ridicule. Ce morceau, je l’ai écouté à nouveau. Sans lui. Et d’avoir pu tenir, enfin, jusqu’à la dernière note, je me sens grandie.

bon-iver08. Bon Iver – 29 #Strafford APTS (Henri Rouillier)
Extrait de l’album “22, A Million” – 2016 – Chanson pour ceux qui regardent le soleil se lever
Il est 2h30 du matin, les métros ne passent plus depuis plus d’une heure et je suis coincé à l’autre bout de Paris. Si j’en crois l’écran de mon téléphone, cela fait sept minutes que j’attends le Uber que j’ai commandé. La journée a été longue, comme toutes les journées du mois d’octobre, comme toutes celles des six mois qui l’ont précédé. Le matin même, j’ai téléchargé l’album de Bon Iver sur Spotify sans trop y croire. J’avais vu quelques lives, notamment à Sydney, où Vernon était accompagné des soeurs Staves, que j’aime énormément. Shuffle… et voici les premières notes de 29 #Strafford APTS. Il m’a fallu exactement 13 secondes pour comprendre que ce morceau ne me lâcherait peut-être plus jamais. Rarement la musique ne m’a dit de manière si explicite que ça irait mieux demain.

conor-oberst-ruminations - 150 09. Conor Oberst – Next of Kin (Marc Mineur)
Extrait de “Ruminations” – 2016 – Folk de cabane
Conor Oberst perpétue une tradition bien établie, celle des albums conçus dans une cabane au milieu de nulle part et un peu dépressif. On pense par exemple au magnifique Nebraska de Bruce Springsteen. C’est une bonne idée, son talent a rarement été aussi manifeste. En point d’orgue de son album Ruminations, il y a ce magnifique Next of Kin, désabusé juste comme il le faut Yeah, I met Lou Reed and Patti Smith/It didn’t make me feel different/I guess I lost all my innocence/Way too long ago.

lond10. Benjamin Biolay  Partout dans le monde (Thomas Messias)
Extrait de la bande originale de “Vicky” – 2015 – biolayserie
Il est toujours un peu gênant de découvrir, quelques mois plus tard, que l’un de ses artistes fétiches a pondu un titre inédit pour la bande originale d’un film passé inaperçu à juste titre. Oubliable comédie sur les déboires d’une pauvre jeune femme riche, Vicky m’aura au moins permis de découvrir Partout dans le monde, titre désabusé et politique dans lequel Biolay interroge notre monde qui déraille, rappelant les constats engagés du Souchon des meilleures heures. Dommage que ce titre ait fini noyé dans la BO inintéressante d’un film absolument pas engagé.

11. Frank Ocean – Swim Good (Guillaume Augias)220px-Frank_ocean_swim_good
Extrait de “Nostalgia Ultra” – 2011 – hip-hop hâché menu
Noël 2011. Produit de mon équation personnelle, je n’écoute plus de musique. En tout cas plus de nouvelles sorties. Mais les amis, oui. Les homies. Et en matière de friche musicale, un des plus illustres est celui qui allait sur Hip-Hop Core par le nom taquin de Checkspire. Dans ses mixtapes Sloppy Mood, il ralentit le monde à la sauce texane du screwed and chopped, et du monde il choisit le meilleur, parmi quoi Swim Good. Chose incroyable, une fois découvert dans sa version originale, le titre me paraît à peine accéléré. Un habillage musical qui tambourine dans le semi-pro, claps et yeah! parsemés, des paroles dignes d’un récit de formation lambda mâtiné d’une caution wetback (“I’m a try to swim to something bigger than me”). Et puis les mouettes de la fin, qui font qu’on y repense à deux fois, voire plus, comme quand Vladimir Cosma mettait dans ses compositions pour films avec Pierre Richard des bruits de ressac, au nez et la barbe des producteurs qui trouvaient que cela faisait chasse d’eau. Frank Ocean s’affranchit de l’ombre du collectif Odd Future en parlant de son patronyme et du projet d’évasion que celui-ci portait depuis le départ. Il nous noie dans le ciel.