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wilco01. Wilco – Locator (Thierry Chatain)
Extrait de “Schmilco” – 2016 – rock alternatif à double fond
Il y a des concerts qui vous font croire à la sérendipité. Qui tombent à pic, le jour exact où vous avez besoin d’une soupape émotionnelle pour ne pas vous noyer sous la grisaille de novembre, le boulot, l’angoisse qui vous tord les tripes. Wilco au Casino de Paris a été exactement cela pour moi. Un exorcisme, une catharsis dans un décor forestier (sur scène) passant par toutes les saisons, de la beauté qui se confronte en permanence au gouffre, au chaos, aux mauvais sentiments. Et si le chaos est moins présent musicalement sur le dernier album drôlement titré du groupe de Chicago, rempli de mélodies séduisantes et globalement paisible, au moins en surface, il reste prêt à surgir. Comme ici, en filigrane, sur ce morceau parano au rythme un peu bancal qui semble dérivé du fameux “Cannonball” des Breeders, où les percussions s’affolent en arrière-plan et où Nels Cline – guitaristes toujours inventif dans de multiples genres, depuis plus de trois décennies – se laisse aller à son goût pour les sons vrillés et distordus, sans jamais en perdre le contrôle.

louis-jean-cormier-les-grandes-arteres02. Louis-Jean Cormier – Si tu reviens (Thomas Messias)
Extrait de “Les grandes artères” – 2016 – Vive le Québec libre
La Complainte du phoque en Alaska de Beau Dommage me met régulièrement les larmes aux yeux. Je ne compte plus les chansons de Pierre Lapointe qui m’ont donné la chair de poule, y compris à la millième écoute. Les sensations que me procure le nouvel album de Louis-Jean Cormier (dont je n’avais jamais entendu parler il y a quelques semaines encore) me donnent donc envie de me pencher de plus près sur la chanson québécoise, parce qu’il y a visiblement quelque chose au-delà de Garou et Natasha Saint-Pier. S’il y a des connaisseurs ou connaisseuses dans la salle, n’hésitez pas à partager vos coups de coeur avec moi.

skeleton tree03. Nick Cave & The Bad Seeds – I need you (Anthony)
Extrait de “Skeleton Tree” – 2016 – Requiem
Nick Cave noie le chagrin de la disparition de son fils dans “Skeleton Tree” et livre avec “I Need You” une complainte absolument déchirante. La voix est brisée, au bord des larmes, les dents serrées pour éviter sans doute de crier, pour contenir un chagrin irrépressible. Les litanies de “I Need You” ressemblent à s’y méprendre à des pleurs, et la chanson, bouleversante, devient une douloureuse complainte, celle d’un homme dévasté. Il n’y aucun doute possible face à une interprétation aussi lourde, aussi évocatrice des ravages de la perte d’un être aimé. Probablement l’une des chansons les plus tristes de tous les temps…

04. Jeremiah Jae – Hercules Versus The Commune (Guillaume Augias)CS1982266-02A-BIG
Extrait de “Raw Money Raps” – 2012 – Diatribe de l’argent cru
Venu de Chicago comme Common et Kanye West mais aussi comme les talentueux indépendants de chez Galapagos4, Jeremiah Jae, auteur de disques ambitieux et perchés, investit ici des thèmes – au moins en apparence – orthogonaux au rap : la mythologie grecque et l’histoire politique. De son flow rocailleux et robotique évoquant le meilleur Subtitle (moitié de Lab Waste et du superbe Zwarte Achtegrond), il égrène d’énigmatiques énoncés tels “Don’t come back Hercules / ‘Cause if you do we’ll find the cure”, avec à la production le charme ourlé d’un vrai polar sonore. N’attendez plus, cette musique vous obsède déjà autant qu’elle vous manquait.

05. Leonard Cohen – You want it darker (Isabelle Chelley)
Extrait de You Want It Darker – 2016 – rock sépulcral0965d672b61dd6173d5b54bf89881891.1000x1000x1
Leonard Cohen n’a jamais fait partie de mon panthéon musical personnel. Mais il était là. En périphérie. Il y avait les classiques que forcément, je connaissais et aimais et la légende du bonhomme, intéressante. Je n’avais pas d’opinion définie sur l’œuvre de l’artiste (on a le droit, parfois, de ne pas avoir d’avis…). Les mélodies trop languides m’ennuyaient un peu pour être honnête. J’ai toujours préféré les personnages flamboyants, le rock’n’roll qui donne des fourmis dans les pieds ou le bassin ou la pop futile en apparence, à quelques exceptions près. Mais en entendant ce nouveau morceau à sa sortie, j’ai été retournée. C’était la voix d’un géant avec un pied dans la tombe, prêt à partir. Les arrangements qui retournent les tripes, le timbre si grave qu’il fait vibrer au plus profond de soi, les paroles à chialer… Ce morceau est un bijou et m’a donné envie d’écouter le reste d’un album tout aussi gravement beau. So long, Leonard.

paradis-recto-verso06. Paradis – Instantané (Arbobo)
Extrait de “Recto-verso” – 2016 – Electro textuée
Il y a des mois qu’on traverse en apnée, la tête et le corps et la peau et la vue compressés floutés empesés. Ces moments où tout peut basculer, où la courbe d’un cil peut vous arracher une palpitation d’excitation, et l’instant d’après les yeux humides vous voudriez pouvoir vous enfuir. Des moments où l’on a envie de retrouver les siens parce qu’il est important d’être ensemble, et où la solitude est à son paroxysme. Les mots c’est compliqué, dans ces moments là. Quand tout est mêlé, trop tout en n’étant pas assez. Il reste quoi, sinon se laisser aller. Un jour une amie m’a dit avec un grand sourire, en parlant de prendre des risques : “Au pire, il se passe quoi ? Tu tombes, c’est tout”. Au pire, tomber. C’est si simple. Si peu effrayant lorsqu’elle le dit. Si évident. Il y a de ça dans l’album de Paradis. Les paroles embarquées dans un vertige de risques qu’on se surprend à prendre. Une douceur de la mélodie, une légèreté qui se dégage du rythme dansant, un chant empli de désabusement… Laisse aller, laisse aller, ferme les yeux, ouvre grand les oreilles, laisse aller et danse, au pire… au pire tu tombes.

Moanin'_(Art_Blakey)07. Art Blakey and the Jazz Messengers – Moanin’ (Nathan)
Extrait de “Art Blakey and the Jazz Messenegrs” – 1958 – Définition canonique d’un genre
Art Blakey est le lien incroyable entre tous les plus grands musiciens de jazz entre 1947 et sa mort en 1990, il a rencontré, révélé ou joué avec Miles, Wayne Shorter, Monk, Bud Powell, Gillepsie, Charlie Parker, Donald Byrd, Max Roach, Horace Silver, Freddie Hubbard et toute la galaxie de Blue Note. Art est un géant, sa syncope est aussi ahurissante que simple, et ses blagues sur scènes sont toujours au top. Sur Moanin’, peut-être le titre des Messengers le plus célèbre, on retrouve en plus la trompette folle de Lee Morgan, influencé par le regretté Clifford Brown. Qu’est-ce que le jazz ? Avec ou sans name-dropping, c’est Moanin’.

We_Got_It_From_Here,_Thank_You_For_Your_Service08. A Tribe Called Quest – We The People (Christophe Gauthier)
Extrait de “We Got It From Here… Thank You 4 Your Service” – 2016 – hip-hop militant
Elle n’est pas très belle à voir, l’Amérique que décrit A Tribe Called Quest sur ce qui sera son dernier disque. Racisme rampant, homophobie, repli identitaire, gentrification qui laisse les plus démunis sur le carreau… Sur fond de beat d’airain chipé à Black Sabbath, Q-Tip et le regretté Phife Dawg tient le portrait d’un monde en manque de repères, bêtifié par la télé-réalité, miné par la peur de l’autre. On pourrait croire que le titre a été pondu au lendemain de l’élection de Donald Trump, il date en fait d’avant la mort de Phife Dawg en mars dernier. C’est glaçant de réalisme.


09. Jenny Hval – Conceptual Romance (Benjamin Fogel)arton27855
Extrait de “Blood Bitch” – 2016 – Dark Folk
Chaque fois que je crois avoir cerné l’esthétique Sacred Bones, celle-ci se dérobe pour explorer de nouvelles illustrations des couples noirceur/lumière et violence/sérénité. Blood Bitch, le nouvel album de la norvégienne Jenny Hval constitue ainsi une surprise de plus. Glacial et expérimental, il est souvent touchant et magnifique à l’image de « Conceptual Romance ». On s’y abandonne jusqu’à ce qu’un cri nous prenne à revers. Bref un disque magnifique où le bonheur n’est jamais acquis.


10. Daft Punk – Within (Lucile Bellan)arton27855
Extrait de “Random Access Memories” – 2013 – French Touch
C’est une histoire de train, comme ça l’est souvent pour moi. 22:21, Paris Nord-Lille Flandres. Le train des vrais. Il y a les volutes du souffle chaud dans l’air glacé, les boules à facettes incongrues dans ce purgatoire (ceux qui ont vu le film de Claire Simon savent), le chocolat instantané des machines. Dans le wagon baigné de lumière orangée, je pose mon précieux Moleskine bleu sur la tablette. Je pense à ce que je laisse, je pense à ce que je retrouve. Je pense qu’il est plus facile de partir de nuit. Et dans cette obscurité bruyante, la voix robotique et mélancolique de Within s’accorde parfaitement avec mes frissons de fatigue.