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3000 nuits : le sac plastique et les barreaux

Sortie le 4 janvier 2017. Durée : 1h43.

Par Thomas Messias, le 04-01-2017
Cinéma et Séries
Cet article fait partie de la série 'Écoutons les femmes' composée de 26 articles. Voir le sommaire de la série.

Il y a dans 3000 nuits un plan qui rappelle l’une des scènes marquantes d’American Beauty : comme dans la vidéo que montre Wes Bentley à Thora Birch, on y voit un sac plastique tournoyer au gré du vent, aller et venir de façon apparemment aléatoire, tenter de prendre son envol puis retomber subitement. Dans le film de Sam Mendes, la trajectoire du sac ne dépendait que de l’humeur du vent et de ses rebonds sur les façades à l’entour. Dans 3000 nuits, un autre paramètre entre en ligne de compte : c’est dans la cour d’une prison que virevolte le sac, une cour surmontée de barreaux anti-évasion. Le sac est prisonnier. Il peut donner l’illusion d’être tout près de s’envoler, mais il ne s’envolera pas. Cette impression factice de liberté est au cœur de ce film palestinien, premier long-métrage de fiction signé par Mai Masri, réalisatrice de documentaires depuis près de trente ans.

Dans ses précédentes réalisations, Masri s’intéressait avant tout au destin de femmes et d’enfants libanais ou palestiniens, pris dans l’enfer de conflits qui les dépassent mais qui constituent leur quotidien. Si le prisme choisi cette fois est celui de la fiction, c’est avant tout parce que le cadre choisi — une prison israélienne — était impossible à pénétrer pour y tourner un documentaire. 3000 nuits reconstitue ce qui se produit à l’intérieur du bâtiment, optant pour une veine totalement réaliste sans pour autant jouer la carte de l’ambiguïté entre la fiction et le documentaire. C’est la frontalité qui intéressé Mai Masri. Pas les simagrées. En fin de film, après avoir rappelé quelques chiffres sur le nombre de Palestiniens emprisonnés dans des prisons israéliennes, un carton explique que le film a choisi de s’attarder sur l’histoire de l’une d’entre eux. On imagine presque qu’elle aurait pu prélever un autre individu au sein de l’échantillon disponible et en tirer un film à la fois semblable (par la situation décrite) et différent (par les singularités de l’héroïne choisie).

Pas un hasard si chacune de ces œuvres s’ouvre peu à peu pour finir par offrir une place conséquente aux personnages secondaires.

Quoi qu’il en soit, c’est bien sur Layal, institutrice palestinienne accusée à tort d’être impliquée dans un attentat, que la cinéaste a jeté son dévolu. Le menu de 3000 nuits ressemble à celui de tant d’autres films sur le même thème (on pense à Leonera de Pablo Trapero) : une jeune femme débarque forcément fragilisée dans un univers carcéral régi par des rapports de domination et de soumission, se prend le quotidien de la prison en pleine face puis tente de relever la tête en tentant de s’intégrer au cercle qui voudra bien d’elle. Différence toujours frappante entre les genres : chez les taulards, c’est la loi de la jungle ou rien ; chez les taulardes, si l’existence de clans est inévitable, c’est néanmoins la cohésion qui prédomine. On fait face ensemble, parce que la quantité permet de mieux affronter l’adversité. Dans 3000 nuits comme dans Leonera ou la série Orange is the new black, les héroïnes ont tellement vécu l’enfer et la solitude à l’extérieur des murs de la prison (enfer rendu plus délétère encore par le comportement des hommes) qu’elles décident de se battre ensemble pour leur droit à la dignité et à la justice. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si chacune de ces œuvres s’ouvre peu à peu pour finir par offrir une place conséquente aux personnages secondaires : c’est un milieu où l’individualité finit par s’effacer partiellement pour laisser place au collectif.

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Autre dénominateur commun : la grossesse et la maternité. Peu après son arrivée en prison, Layal apprend qu’elle est enceinte, et décide de garder le bébé. Si Mai Masri use abondamment de l’ellipse, c’est notamment parce que le sujet central du film n’est pas l’arrivée de l’enfant : en revanche, elle filme de longues et belles scènes au cours desquelles Layal apprend à son fils Nour comment dessiner quelques éléments supposément basiques : une maison, des oiseaux. Le tout sur les murs de sa cellule. Comme dans Room, où le personnage de Brie Larson était contraint de réinventer le monde en espace clos pour son fils né en captivité, Layal fait avec ce qu’elle a. Et c’est si beau.

Barreaux ou pas, ces femmes palestiniennes seront toujours prises au piège de leur statut.

Mais le féminisme de Mai Masri et de son héroïne résonnent surtout dans ce qui suit : parce qu’elle n’est pas qu’une mère, Layal est bien décidée à ne pas se focaliser sur l’éducation et la protection de son fils, objectifs dont elle pourrait se servir comme œillères. La grève de la faim des pensionnaires de la prison pour hommes située non loin de là (en protestation suite au massacre de Sabra et Chatila, le film se déroulant au cours de cette année 1982 si funeste) ne la laisse pas indifférente. Caméra à l’épaule menée de façon assez virtuose (simple, efficace, sans démonstration de force), Mai Masri suit la révolte de l’institutrice et de ses camarades d’infortune. Malmenées par des codétenues israéliennes réellement dangereuses (pas parce qu’elles sont israéliennes, mais parce qu’elles sont de véritables criminelles, enfermées avec elles sans souci de cohérence), méprisées par des geôlières mal intentionnées, elles luttent avec rage. Un combat qui contraindra Layal à faire des choix. Contrairement à Leonera ou Orange is the new black, nul besoin pour 3000 nuits de romancer la destinée de son personnage principal : les dilemmes moraux qui s’imposent naturellement à elle constituent de passionnants obstacles. Et l’on comprend d’ailleurs bien vite que, barreaux ou pas, ces femmes palestiniennes seront toujours prises au piège de leur statut, sacs en plastique qui croient un temps pouvoir s’envoler mais dont les vains soubresauts pourront au mieux leur donner l’impression d’exister.

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