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Easy : le Chicago humain et moderne

Série de 8 épisodes. Disponible sur Netflix.

Par Alexandre Mathis, le 01-02-2017
Cinéma et Séries

La série Easy ne serait-elle pas l’exact inverse de Black Mirror ? Il ne s’agit pas d’une opposition thématique mais de tempérament. Black Mirror, fondé sur des récits d’anticipation, montre à chaque épisode ce qu’il peut arriver de pire avec une technologie donnée. La mécanique, lassante, a ceci de puissant qu’elle exploite un filon le temps d’un épisode et laisse la problématique se poursuivre pour les discussions de dîners en ville. Avec Easy, il est au contraire question de montrer comment tout peut aller mieux, comment même un sale con peut se rattraper et devenir un homme meilleur.

Créée par Joe Swanberg, cette anthologie centre chaque épisode sur un scénario a priori isolé des autres. En vrac, l’épisode 1 se penche sur un couple qui tente de relancer sa libido, l’épisode 3 suit deux frères qui montent leur brasserie clandestine, l’épisode 4 s’intéresse à un écrivain mégalo qui, couchant avec une étudiante, devient l’arroseur arrosé. Et si dans Black Mirror, chaque protagoniste n’est qu’un rouage voué à se retrouver piégé par un engrenage, dans Easy, chaque personnage peut saisir sa chance et se sortir d’un mauvais pas. Le mensonge, par exemple, n’est pas forcément puni par la sacro-sainte morale habituelle. Certains vivent de ce mensonge, d’autres ont droit au pardon.

Chicago, ville-monde

Easy ne serait-il qu’une sucrerie mumblecore sans autre intérêt ? Heureusement non. D’abord parce que les personnages ont tous leur part d’ambiguïté. Dans l’épisode centré sur un couple lesbien, l’une des jeunes femmes tente de devenir végane pour faire comme sa nouvelle copine. Elle se met aussi au vélo et change ses habitudes de vie du jour au lendemain. Seulement, ces changements lui coûtent. Elle fait croire l’inverse à sa copine, par peur de la perdre. A ses dépens, elle apprend qu’on peut être une écolo-végane sans être une harpie intolérante. Toute la saison est ainsi : saisie par le besoin de dire que les bobos et les classes moyennes sont d’abord des humanistes avec leurs défauts, mais qu’ils essaient de rendre leur monde meilleur.

Par moments, on se croirait presque dans une capitale européenne type Copenhague.

C’est qu’en creux, Easy montre aussi la ville de Chicago, filmée comme une ville-monde. S’il existe de nombreuses œuvres incarnant les villes de New York (au hasard, presque tout Woody Allen) ou Los Angeles (au hasard encore, presque tout Paul Thomas Anderson et beaucoup de Robert Altman), Chicago a moins souvent droit à son portrait. En huit épisodes, Easy montre les maisons de banlieue, les salles de amphi d’universités, les places touristiques, les cafés branchés et les appartements air’b’n’b de la ville. Par moments, on se croirait presque dans une capitale européenne type Copenhague. Socialement, la série mise aussi sur une relative mixité : homos, hétéros, artistes, employés de bureaux émancipés, femmes au foyer, acteurs de théâtre. Pour autant, point de défavorisés, de luttes de classes ou de présence policière : on reste entre gens ayant une vie confortable et ne vivant guère une quelconque oppression. A peine fait-on mention d’un couple d’origine mexicaine mais cela n’a aucune incidence sur le récit. Easy est un havre de paix de la jeunesse éclairée et humaniste. Les protagonistes de la série partagent plus de points commun avec des urbains de Berlin, Istanbul ou Sidney qu’avec l’électeur moyen de Trump.

easy serie

Vague de mélancolie

La mélancolie qui en ressort trouve son apogée dans une séquence lyrique au cœur d’un planétarium.

C’est au moment où la saison flirte avec le ronron qu’elle révèle deux surprises de taille dans ses deux derniers épisodes. Toute anthologie qu’elle est (c’est-à-dire que les épisodes sont déconnectés les uns des autres), l’épisode 7 se déroule en périphérie du récit des personnages déjà croisés. Il faut quelques scènes pour se rendre compte que ce ne sont pas les mêmes acteurs qui jouent deux rôles différents mais bien les personnages qui reviennent. L’épisode 8, à nouveau centré sur les frères et leur brasserie clandestine, achève de prouver que le projet de Joe Swanberg est bien de faire un portrait d’une population. Les destins ne se croisent pas artificiellement comme dans un film choral ; simplement, ces gens investissent un même espace. C’est bien normal que certains se connaissent.

Ce qui était en germe au début devient éclatant dans un épisode intitulé très justement Solitude. À travers la vie d’une actrice fraîchement célibataire, le récit place chaque individu face à son miroir. Que faire de sa solitude ? S’amuser ? Se remettre en question ? L’épisode ne tranche pas, mais la mélancolie qui en ressort trouve son apogée dans une séquence lyrique au cœur d’un planétarium.

Il y a des dizaines de moments superbes, parfois drôles comme pour ce couple qui découvre Tinder et finit par inviter une copine à un plan à trois, parfois un peu malheureux comme pour cet autre couple qui a du mal à coucher ensemble sans être interrompu. Car oui, s’il est question de vie et de couple, il est souvent question de cul ; mais de cul tour à tour sympa, ludique, triste ou inexistant. Faussement anodin, ce programme original Netflix s’impose comme un modèle de légèreté qui ne tergiverse pas sur les questions modernes de la société (véganisme, fidélité, exposition publique de sa vie intime ou encore manière de vivre son célibat).