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Split : 24 fois la vérité

Sortie le 22 février 2017. Durée : 1h57.

Par Guillaume Augias, le 23-02-2017
Cinéma et Séries

On a souvent comparé M. Night Shyamalan à Alfred Hitchcock, parfois jusqu’à un écœurement qui a peut-être joué dans la traversée du désert – sinon du point de vue du public, en tout cas du point de vue critique – dont le cinéaste de Philadelphie a fait l’expérience. C’est donc la poursuite d’un clin d’œil, à cet égard, que de le retrouver ici dans un petit rôle de concierge scrutant sur un écran divisé – un split screen – l’action d’une scène. Mise en abyme de sa réputation et mise en abyme de son film, rien que ça. Un clin d’œil gonflé.

Et gonflé, dans Split, on peut dire que Shyamalan l’est. Il ose ouvrir son film par un regard caméra mais n’en reste pas là : le même regard caméra introduit le personnage multiple brillamment interprété par le Britannique James McAvoy et la photo de ce regard caméra sera reprise dans un JT aperçu au cours du film, le genre d’entorse retorse dont le réalisateur né à Pondichéry est friand. Entre les deux regards caméra évoqués, la protagoniste dont ce sont les yeux regarde dans un rétroviseur d’abord vide – pas d’intrigue – puis reflétant une image inquiétante. Pas vu, pas pris.

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Dès lors, la trame écrite et filmée par le démiurge d’origine indienne se déroule avec toute la sophistication qu’un personnage aussi divers peut apporter à sa rage cinématographique. Mais le monstre au centre de tout cela – auto-surnommé “la horde”, il est attiré par l’appel de “la bête” – n’a pas un nombre de personnalités choisi au hasard : 24, comme le nombre d’images par seconde que constitue à proprement parler le cinéma. “24 fois la vérité par seconde”, pour reprendre Godard.

La vérité de Shyamalan, même si son film semble prendre pour thème le trouble dissociatif de l’identité (D.I.D en anglais dans le texte, précisément le trouble que de nombreuses personnes évoquent sans le savoir quand ils emploient le terme de schizophrénie), sa vérité donc est tout sauf psychologique. Ainsi les ponts établis entre le cas clinique coupable d’enlèvement et Casey, sa proie principale – à savoir, pour faire court, une enfance maltraitée – sont autant de fausses pistes.

Il faut bien davantage chercher du côté de la physiologie, et plus particulièrement du côté de la pratique de la chasse, au centre des flash-backs sur l’enfance de Casey. Physiologie du vivant et physiologie du cinéma, nous rappelant au passage l’époque du montage de cinéma quand il était physique, dans tous les sens du terme : table de montage, ciseaux d’acier trempé, sang versé et nuits blanches.

Split

L’ode au cinéma qu’est toute l’œuvre de Shyamalan devient ici une ode à lui-même.

L’ode au cinéma qu’est toute l’œuvre de Shyamalan devient ici une ode à lui-même. Et ce n’est pas se faire le thuriféraire zélé de sa filmographie que de le saluer, depuis la scène du trajet en voiture de Casey évoquant un remake malin du Village jusqu’à l’apparition de Bruce Willis, dans son habit de David Dunn, mentionnant le surnom de Samuel L. Jackson dans Incassable. Et le point d’orgue est ici permanent, tant l’auteur-réalisateur – et désormais producteur – de tous ses films semble ici réaliser un fantasme : quand on voit James McAvoy faire défiler sur son visage ses multiples identités comme autant de chaînes de télévision sur un écran, on comprend que M. Night Shyamalan a voulu tourner un film dont le héros est son propre scénario.