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La Morsure des Dieux : la douleur est dans le pré

Sortie : 26 avril 2017. Durée : 2h05.

Par Thomas Messias, le 27-04-2017
Cinéma et Séries
Cet article fait partie de la série 'Écoutons les femmes' composée de 26 articles. Voir le sommaire de la série.

Il convient d’abord de saluer l’abnégation de Cheyenne Carron, qui réalise chaque année ou presque un nouveau long-métrage auto-produit pour un budget avoisinant les cent mille euros. Et même si la cinéaste a clairement indiqué que La Morsure des Dieux était sans doute le dernier film qu’elle réaliserait de cette façon, elle n’est sans doute pas près d’arrêter de tourner. Ici comme dans ses précédents films, l’absolue détermination de l’artiste se ressent à chaque plan : pendant plus de deux heures, on baigne dans un premier degré total, au mépris total de toute forme de cynisme ou de dérision. C’est ici plutôt une qualité : car tout comme son paysan de héros croit dur comme fer au travail de le terre et à la perpétuation du travail de ses ancêtres, Cheyenne Carron croit aux sentiments nobles et aux convictions profondes. Il en résulte une certaine impression d’harmonie, même si le film se drape par moments dans un excès de didactisme qui tend à en atténuer l’intensité. Trop présente, trop solennelle, la voix-off témoigne du manque de confiance de la réalisatrice envers sa mise en scène, propre mais manquant sans doute de fulgurances. Les dialogues ont globalement le même effet : lorsque le jeune fermier païen et sa nouvelle voisine catholique confrontent leurs visions du monde, le débat sonne faux. La Morsure des Dieux manie mieux les silences que les mots, les images que les grandes phrases. Mais son désir de rendre sa démonstration aussi limpide que possible lui ôte son potentiel de grâce.

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Lorsque le film se tait, il passe par des moments de vraie beauté au cours desquels le panthéisme revendiqué par le personnage principal se fait pleinement ressentir. L’affection de Cheyenne Carron pour ces grandes terres du Pays Basque n’est clairement pas feinte : au détour d’un plan ou d’une séquence, il se produit un effet de communion qui parvient à toucher. Le panthéisme, c’est cette doctrine qui consiste à affirmer que Dieu est en chaque chose. Carron n’est pas Malick, mais impose néanmoins le respect par sa façon modeste de mettre en valeur le culte des saisons et le respect des ancêtres. « Je n’ai pas une exploitation, mais une ferme », affirme Sébastien au banquier qui peine à lui proposer des solutions pour surnager financièrement. S’il sue sang et eau à tirer le meilleur de sa terre pour pas un kopeck, ce n’est pas par masochisme, mais pour prolonger aussi loin que possible le geste initié par ceux et celles qui l’ont précédé dans l’arbre généalogique. On peut trouver cette obstination totalement vaine, ou saluer au contraire la beauté de cet engagement désintéressé. On peut en tout cas apprécier la façon qu’a Carron d’éviter les oppositions binaires : financiers contre artisans, méchantes villes contre gentils villages. Les opposés se côtoient, s’évitent, peinent à se comprendre, mais le film préfère en rester au stade de la constatation plutôt que de condamner cette diversité parfois explosive.

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Les héros de Cheyenne Carron ont trop souvent tendance à rester verticaux

La Morsure des Dieux aurait en revanche mérité d’aller un peu plus loin dans le mysticisme. Quitte à parler de croyances et à débattre de la place et de la forme de Dieu, il aurait fallu donner davantage de corps à l’impalpable, marcher sur les traces d’Alain Guiraudie et parcourir la pénombre. Pas sûr que le manque de moyens puisse justifier l’excès de sagesse. La beauté (peut-être fantasmée) de la vie de Sébastien et de ses congénères semble résider dans le grand écart quotidien entre leurs plongées imposées dans un concret souvent douloureux (soucis matériels, prises de tête autour de la création d’une coopérative agricole) et leur possibilité de s’immerger, le soir venu, dans une solitude grisante où tout semble possible. Pour paraphraser le titre du dernier film de Guiraudie, les héros de Cheyenne Carron ont trop souvent tendance à rester verticaux sans même se laisser tenter par l’animalité. Pour que son cinéma soit capable de nous emporter au lieu de juste chercher à nous convaincre, c’est sans doute cette piste que la réalisatrice aurait dû explorer.

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