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Prince, fragments d’un discours de fan de Fanny Capel : When we were young  

La brune au Rouergue, 160 p., 17,80 €

Par Elise Lépine, le 28-04-2017
Littérature et BD

Des voyous à banane brillantinée aux madones aux lèvres de vinyle, des suicidés trempés d’eau de javel aux divas vêtues de viande rouge, la pop culture a produit son chapelet d’idoles, chacune accompagnée de son faisceau d’adorateurs. Face aux « fans » hurlant aux trousses de leurs divinités, qui ne voit pas surgir l’adolescent qu’il fut, vénérant l’une ou l’autre des figures de la pop, du funk ou du rock, prêt lui aussi à pleurer pour une signature, à dormir dehors pour un concert, à mourir pour un geste d’adoubement ? Fanny Capel, agrégée de Lettres, professeur en région parisienne, adoratrice de longue date du chanteur Prince, explique en introduction : « En 1988, je suis tombée fan ». Tomber fan, comme on tombe malade ou amoureuse – la formule coupe court au jugement du lecteur, entraîné dès les premières pages du récit dans une description enfiévrée du « phénomène » Prince. Jouant de longues phrases et d’une ribambelle d’adjectifs, l’auteure convoque la figure de l’artiste dans tout le génie de sa kitscherie, ressuscite la puissance de feu du chanteur sur scène : « Une silhouette impériale en ombre chinoise, juchée sur un podium dans une attitude de matador, toise la foule en furie, futal à taille haute, redingote et chemise à jabot, tignasse xviiie siècle, petit marquis décadent flanqué de sa cour pastiche, ces purple boys and girls vêtus à son image de soie et de dentelles, emperlousés… »

Ainsi reçoit-on de plein fouet la haine de soi d’une ado mal dans sa peau

Dans ces passages hyperboliques consacrés à la star, Fanny Capel produit un essai socio-musical certes partial, toutefois vivant et documenté. Mais c’est quand elle aborde la personne même du « fan » et les mécanismes de sa dépendance, passant du burlesque à l’émotionnel, voire au tragique, mêlant son propre témoignage à la voix d’autres admirateurs de Prince, que l’auteure touche au sublime. Au-delà de l’éclat des grandes scènes, du lamé des costumes et de l’ultra sex-appeal de Prince, Fanny Capel met à jour la fragilité de ces troupes endimanchées et hystériques, extrait de la masse transie de désir des individus pétris de souffrance, parfois de solitude, affamés d’amour, à la fois si vides et si pleins, excités, galvanisés, torturés : « La joie d’être fan, la douleur d’être fan ». Ainsi reçoit-on de plein fouet la haine de soi d’une ado mal dans sa peau, éperdue et humiliée face à son idole (« Il t’a vue avec ta gueule de boutonneuse »), l’amitié de trois filles persuadées d’être maîtres du temps, percutées à l’âge adulte par l’évidente défaite de leur jeunesse, et bien sûr le choc violent de la mort du dieu vivant, le 21 avril 2016, réduisant ses milliers de fans au rang « d’enfants aux cœurs broyés ». Avec Prince pour flamboyant prétexte, Fanny Capel met le doigt sur la plaie au cœur des adultes au XXIe siècle, ce trou laissé à nos poitrines par nos épopées oniriques, nos amours imaginaires et nos idoles évanouies.