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Last laugh : rire pour mieux en finir

Présenté le mercredi 24 mai 2017 à l'ACID. Durée : 1h22.

Par Thomas Messias, le 28-05-2017
Cinéma et Séries
Cet article fait partie de la série 'Cannes 2017' composée de 22 articles. En mai 2017, la team cinéma de Playlist Society prend ses quartiers sur la Croisette. De la course à la Palme jusqu’aux allées de l’ACID, elle arpente tout Cannes pour livrer des textes sur certains films forts du festival. Voir le sommaire de la série.

Pendant le festival de Cannes 2017, un génial touche-à-tout nommé Henry Michel a monté (à l’arrache mais de façon finalement très pro) le Fantasy Festival de Cannes, permettant à une communauté en expansion de créer des pitchs de films cannois qui n’existent pas, puis leurs affiches, avant que la même communauté ne procède à un vote pour élire le faux film le plus drôle… car le plus cannois. Il est vrai que l’acclamé Vidéosurveillance, de Vladislav Diakhaté (“L’histoire poignante et tragique d’un agent de sécurité à la recherche de sa gourmette”), ou Les Confidences de l’abricotier, de Nao Xe (“À l’asile, Wu est mieux qu’à la mine. Mais à chaque promenade il doit passer sous un abricotier qui n’a rien oublié du brûlant été 76”), auraient tout à fait eu leur place au sein de la sélection officielle. Il y a derrière ce projet tellement drôle l’idée que les élites cannoises se prennent parfois un peu trop la tête en s’entre-déchirant autour de films aux résumés improbables (ce qui n’empêche pas les produits finis d’être parfois fascinants).

C’est pour cela que des festivals comme Cannes sont si prisés : parce qu’une grande partie des œuvres présentées tente de transcender l’attendu

Au cours du festival, il a parfois été difficile de ne pas faire la confusion entre les vrais films et les faux. Avec tout le respect qui est dû à son auteur Zhang Tao, le postulat de Last laugh aurait tout à fait pu lui permettre de participer au Fantasy Festival. Écoutez plutôt. “Dans un village du Shandong, une vieille paysanne fait une chute. Immédiatement, ses enfants en profitent pour la déclarer inapte et l’inscrivent malgré elle dans un hospice. Dans l’attente que se libère une place, la doyenne séjourne tour à tour chez chacun de ses enfants, aucun ne voulant la prendre en charge”. Il est à la fois hilarant de constater que ce film chinois présenté à l’ACID aurait pu finir dans l’« autre » festival, et tout à fait rassurant de constater qu’il parvient à aller bien au-delà d’un pitch pourtant très fidèle à ce qu’il est en réalité. C’est pour cela que des festivals comme Cannes sont si prisés : parce qu’une grande partie des œuvres présentées tente de transcender l’attendu.

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Un concours d’indélicatesse et d’ingratitude qui donne lieu à quelques scènes d’engueulades qui seraient encore plus savoureuses si elles étaient filmées avec davantage d’emphase

Si Last laugh est bien plus intéressant que son résumé, c’est parce qu’il s’engouffre dès que possible dans une brèche tragi-comique assez réussie. Là où une audience occidentale s’attend par exemple à ce que la doyenne soit soutenue jusqu’au bout par ses enfants dévoués, la réalité est bien différente. Toutes et tous se la renvoient telle une patate chaude, parce que les moyens financiers, le temps et tout simplement l’envie leur manquent. Un concours d’indélicatesse et d’ingratitude qui donne lieu à quelques scènes d’engueulades qui seraient encore plus savoureuses si elles étaient filmées avec davantage d’emphase. Par exemple, Last laugh donne envie de revoir Sieranevada, brillant pugilat verbal signé Cristi Puiu et présenté l’an dernier à Cannes. Il y avait de la vigueur, de l’esprit, un vrai punch dans l’art de filmer la médiocrité et la mauvaise foi.

Pour organiser la résistance de sa vieille héroïne, Zhang Tao opère la réflexion suivante : puisqu’elle n’a ni l’énergie ni la rage pouvant lui permettre de clouer le bec ou de jouer un tour pendables à une descendance peu reconnaissante, la voilà qui se met à être prise par d’interminables crises de rire. Un rire grinçant qui s’infiltre sous la peau, comme un cri de mouette ou un pleur de bébé. De quoi avoir envie de s’arracher les tympans à défaut de pouvoir réagir autrement. Façon pour la vieille femme de ne pas devenir tout à fait invisible, et de montrer sans parler à quel point la situation est ridicule. Préférerait-elle mourir ou juste être traitée de façon un peu plus humaine par ceux et celles dont elle s’est occupée toute sa vie ? Le film ne le précise même pas. Sa conclusion, qui va encore un peu plus loin dans le décalage, vient ajouter quelques grammes d’absurdité dans ce monde d’ingrats qui n’hésiteront pas à danser sur le cadavre encore chaud de leur mère dès qu’elle passera de vie à trépas.

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