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Que l’on penche pour la Suède de Strindberg et Bergman ou pour celle d’Edberg et Roxette, ou encore pour les deux – pourquoi choisir –, se pencher sur le cas de Peter Von Poehl est toujours intéressant, car il est à la croisée de ces routes. On sent d’emblée chez lui, dès les premières notes de ce quatrième album, tout à la fois l’érudition, le lyrisme et la joie d’une décontraction revendiquée, d’un hédonisme de l’évidence. Tout est digéré sans emphase, rien n’est amené qui ne soit pour l’immédiat plaisir d’en jouir.

La Tricatel touch n’y est pas pour rien. Repéré par l’écurie de Bertrand Burgalat à l’époque où celle-ci joue à fond le cheval Houellebecq, Von Poehl part sur les routes en l’an 2000 avec l’auteur des Particules élémentaires. Guitariste du groupe AS Dragon qui se trouve être le backing band de la tournée Présence humaine, le Suédois fait partie des témoins directs d’un moment singulier de notre culture contemporaine, quand par exemple au sortir d’un concert allemand Michel Houellebecq se met à dos l’équipe entière, tout en redoutant d’être châtré en représailles.

La musique de Von Poehl emprunte mille et une voies sans jamais se perdre. Plusieurs titres commencent bille en tête, sans intro ni fioriture. Fuyant les étiquettes, il semble que le musicien touche-à-tout s’attache à emprunter un style différent dès qu’on est sur le point de le ranger dans un genre musical. On pense à une foule de références en écoutant ici un saxophone baryton à la Morphine (“The Go Between”), là un chant FM (“Inertia”, “Late Arrivals”) dont on ignore s’il est moqueur. De Pink Floyd à REM, les inspirations sont vastes, mais il y en a une qui  s’élève par-dessus les autres telle la statue du Commandeur : le légendaire groupe britannique King Crimson. Un titre notamment, au titre à peine codé “King’s Ransom”, sonne comme la revisite énamourée d’un héritage intarissable, le psychédélisme en moins.

La musique de Von Poehl emprunte mille et une voies sans jamais se perdre

Gendre à la ville de Patrick Modiano, Peter Von Poehl élabore un univers aux contours flous et mouvants, bercé de mélodies entêtantes qui auraient tout à fait leur place dans un roman du récent Prix Nobel, que ce soit à Paris porte de Saint-Cloud, autour des chais disparus de Bercy ou dans le secteur de la station Boucicaut ou encore à Nice sur les hauteurs ou au bord du lac d’Annecy, dans un club-house des faubourgs… Il y a le temps qu’on peut toujours essayer d’attraper par des chansons.

Ainsi dans ce beau passage d’Un pedigree, il suffit de remplacer mots par notes et une approche honnête de l’art de Peter Von Poehl se dessine soudain : “Je vais continuer d’égrener ces années, sans nostalgie mais d’une voix précipitée. Ce n’est pas ma faute si les mots se bousculent. Il faut faire vite, ou alors je n’en aurai plus le courage.” Entre lâcher prise et vague à l’âme, un trouvère suédois a choisi de ne pas choisir, car ce serait comme perdre un peu des deux, ce serait se perdre deux fois.