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Comment se fait-il que l’on puisse être ému devant le vol de ptérodactyles, devant le cadavre d’un éléphant, devant un poisson dévoré par un phoque, par la simple image d’une petite fille qui marche ou par le premier pas d’un être vivant sur la terre ferme ? En ce rendant compte que la vie est un miracle, comme le titrait jadis Emir Kusturica. Voyage of Time est ce poème au miracle de la vie. Terrence Malick fantasme de filmer la Création (de l’Univers et de la vie) depuis plus de trente ans. Son projet « Z » existe depuis les années 1980 et ambitionnait déjà de raconter les prémices de l’Univers au sein d’une histoire qui se serait passé au Moyen-Orient. The Tree of Life n’était qu’un premier témoignage du gigantisme du projet. Il prend aujourd’hui la forme de ce documentaire d’une heure trente. Soit quatre-vingt dix minutes à filmer l’espace et les moindres soubresauts de vies. Un supplice pour ceux qui ont abhorré les parties cosmiques de Tree of Life, un délice pour les autres. Car raconter l’Histoire de l’Univers et de notre planète en ces quelques minutes revient à réduire des milliards d’années en un précipité de quelques moments choisis.

Voyage of Time s’aventure aux confins du cosmos avec la sensation que la caméra caresse pudiquement les planètes.

Voyage of Time s’aventure aux confins du cosmos avec la sensation que la caméra caresse pudiquement les planètes. Elle est là, comme un témoin qui se ferait tout petit face à ces événements monumentaux. Malick reconstitue pêle-mêle le Big-Bang, les premières explosions de volcans, les premiers amphibiens ou encore la vie des premiers hommes au contact du feu et des grottes. Le film suit d’ailleurs un schéma assez linéaire, allant de l’explosion originelle jusqu’aux villes ultra-connectées d’aujourd’hui. Seules ruptures dans ce programme, de nombreux instants de vie contemporains filmés par des inconnus à l’aide de téléphones : ici une bergère en France, là un mariage Juif, là-bas une manifestation en Égypte. Rituels, moments de communions, sacrifices d’animaux, ces éclairs de vie a priori opaques saisissent ce qui unit les Hommes. Ces séquences dépassent l’émerveillement scientifique.

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Darwinisme appliqué

La vie se constitue selon cinq étapes : naître, grandir, se nourrir, se reproduire et mourir. Voyage of Time pourrait se résumer à filmer ces cinq étapes à toutes les périodes de l’Univers. Les molécules, les humains, les mammifères naissent, grandissent, se multiplient, (se) mangent, et meurent. On assiste à la naissance de l’Univers et à son expansion. Sa mort viendra. Pour tout être vivant, la mort guette car il est aussi mis en danger par ses congénères. « Quelle est cette guerre au milieu de la Nature ? », entendait-on dans l’ouverture ô combien darwiniste de La Ligne rouge. Le film montrait la lutte entre les espèces, mais aussi la lutte à l’intérieur d’une même espèce (aussi bien les Hommes que les plantes entre-elles).

Seulement, la vie ne se résume pas à cela. La plus belle (et injustement moquée) scène de The Tree of Life montrait un dinosaure bipède et carnivore se prendre de pitié pour un herbivore. Le bipède posait sa patte sur la tête de sa victime, prêt à la dévorer avant de finalement lui laisser la vie sauve. En filmant cela, Malick montrait comment la conscience se trouvait déjà chez des reptiles, créatures habituellement vues par l’Homme comme monstrueuses. Dans Voyage of Time, il y a même une scène d’amour maternel entre un bébé dinosaure et sa mère. L’amour n’est définitivement pas l’apanage de l’Homme. Le scénario de The Tree of Life confirme cette interprétation : « Chez les dinosaures, on découvre les premiers signes de l’amour maternel, et les créatures apprennent à prendre soin l’un de l’autre.» Il est amusant de se dire que ce grand cinéaste chrétien vient de sortir, avec Voyage of Time, le film le plus anti-créationniste de l’Histoire du cinéma.

Témoigner du visible

Malick filme avec dévotion tout ce qu’il peut voir et se pose l’éternelle question : qu’y avait-il avant ?

Par la perfection du montage, Malick alterne l’infiniment grand et l’infiniment petit avec fluidité. Entre l’œil et la planète, la sidération est la même. À ce titre, Voyage of Time ne se vit pas vraiment comme un documentaire, mais plutôt comme un poème à tel point qu’on ne sait plus trop ce qui est de l’ordre du passé, du présent ou du fantasme. Cette seiche qui nous regarde : animal réel ou image de synthèse ? Et cette méduse au déplacement gracieux, animal antique ou contemporain ? Ces volcans en éruption façonnent-il la planète il y a 4 milliards d’années ou grondent-ils de nos jours ? Il y a une sorte de privilège – reconstitué – à se trouver là à l’origine de la vie. Malick filme avec dévotion tout ce qu’il peut voir et se pose l’éternelle question : qu’y avait-il avant ? Avant que la lumière et la matière n’apparaissent, existait-il quelque chose ? Avant que la vie ne prenne forme tel que nous la connaissons, en existait-il une autre ? Comment la roche et les fournaises en sont-elles arrivées là ? Par le concours de nombreux scientifiques, le réalisateur tente d’offrir des images les plus plausibles de ce qui est connu, même si on devine sa frustration de ne pouvoir aller plus loin. Car par définition, ce qui était avant la Lumière ne peut être vu. L’occasion pour Malick de renouer avec ses éternels questionnements.

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Litanie

À mesure que le Monde se crée, se transforme et se détruit, Blanchett tente de trouver la voie du créateur. Est-ce un Dieu ? Une Déesse ? Ou simplement le miracle de la chimie ?

« Où étais-tu quand je fondai la Terre ? » interpelle Dieu dans le Livre de Job. Dans Voyage of Time, Cate Blanchett retourne fébrilement la question : « Mère. Où te caches-tu ? » Aussi hermétique puisse paraître l’utilisation de la voix off ici, elle est le fil rouge du questionnement. À mesure que le Monde se crée, se transforme et se détruit, Blanchett tente de trouver la voie du créateur. Est-ce un Dieu ? Une Déesse ? Ou simplement le miracle de la chimie ? Quand la météorite vient anéantir presque tous les dinosaures, quel besoin mère Nature avait-elle de faire table rase ?

Et surtout, qu’est-ce qui nous pousse à nous aimer, à nous battre, à danser ensemble ? Est-ce aussi une histoire de chimie ? Cette question, Malick se la pose depuis longtemps. Il la chante comme une litanie, si bien que ses films lui servent de catharsis. La Ligne Rouge montrait des soldats, qui, au lieu de communier leur fraternité, s’enfermaient dans des solitudes remplies de questions. Aucune réponse ne venait les soulager. Au point que le réalisateur utilisait la musique de Charles Ives « La question sans réponse ». Depuis, Malick n’a de cesse de ressasser ses doutes, comme un croyant remet en question sa foi. À la Merveille s’interrogeait sur le sens même de l’Amour, qu’il soit terrestre ou divin. Knight of Cup se vivait comme un pèlerinage intérieur pour expier l’inconsolable solitude de tout Homme. Voyage of Time vient parachever cette grande exploration des questionnements. À noter que depuis  À la Merveille, une réponse vient soulager ses films : il trouve toujours son Salut par le biais de l’amour et de la curiosité. Avec Voyage of Time plus que jamais, il regarde le monde avec la naïveté du premier regard. Parfois, les plans les plus simples sont les plus beaux.

Malick conclut donc Voyage of Time de la même manière qu’À la Merveille. L’amour est partout, en toute chose douce ou cruelle ; cet amour est partout en nous, au dessus de nous, en dessous de nous. Ce qui prenait la forme d’une prière avec le père Quintana (Javier Bardem) dans À la Merveille se retrouve ici au sein d’un montage d’images d’anonymes. En fin de compte, si Malick utilise toutes ces images, c’est parce qu’elles sont le témoignage simple de l’amour qui existe. Dans la communion sociale, tous les humains – sans distinction de classe, de religion, de race ou de sexe – éclairent leur passage sur Terre d’un torrent d’amour qu’ils peuvent offrir. Décidément, Malick, à l’heure du cynisme et du pessimisme, s’offre une ode à l’espoir qui fait de l’expérience Voyage of Time un moment hors-sol dans nos vies cadenassées.

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