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Heurs et malheurs du sous-majordome Minor de Patrick De Witt : Le monde aux audacieux 

Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Philippe et Emmanuelle Aronson, Actes Sud, 400 p., 23 €

Par Elise Lépine, le 14-09-2017
Littérature et BD

On s’habitue très vite au fait que Lucy, héros de ce roman, porte un prénom de fille, inédit diminutif de Lucien : ce n’est après tout que la première fantaisie d’une longue et jouissive série de trouvailles loufoques. Depuis quand n’avait-on pas tant ri en lisant ? Sans doute depuis Les frères Sisters, conte noir, pétulant western et précédent roman de Patrick De Witt, décidément unique en son genre. Et quel genre ! Après le western, l’auteur s’attaque au roman gothique, prenant à nouveau le parti de détourner les codes d’une littérature clairement identifiable en la parant des attributs de son style inimitable. Lucy, donc, jeune homme sans histoires d’un petit village d’une contrée reculée, agonise sous les miasmes d’une mauvaise grippe. La mort, sous les attributs d’un bonhomme crasseux vêtu d’une toile de jute, décide in extremis d’envoyer Lucy aux trousses d’une aventure extraordinaire, ôtant plutôt la vie à son paternel. Voici notre jeune homme bondissant dans un train, direction le cœur d’un sombre massif alpin, où l’attend son nouvel emploi, sous-majordome au château Von Aux. Dans son wagon de troisième classe, le jeune Lucy observe ses voisins, endormis, se faire détrousser par deux bandits de grands chemins, père et fils : le gentil garçon ne bouge pas une oreille, tandis que les deux malfaisants finiront par devenir ses grands amis. Chez Patrick De Witt, la morale n’est pas là où on l’attend, les mauvais bougres ne sont jamais si mauvais, tandis que les bonnes pâtes peuvent s’avérer retorses. Imposer au récit un léger et génial décalage, voilà l’art de De Witt.

Un roman majeur

Ni réaliste, ni rigoureusement fantaisiste, Heurs et malheurs du sous-majordome Minor plonge le lecteur dans un univers ambitieux : le château, quasi-désert et en décrépitude, est gouverné par un vieux valet, Mr. Olderglough, chapeauté par une cuisinière ratée et hanté par un baron transformé en bête sauvage, qui ne sort que la nuit pour dévorer des rats. Le village, théâtre d’une guerre incompréhensible opposant des soldats très motivés à Dieu sait quel ennemi invisible, abritera les amours de Lucy et de la belle Klara, hélas fiancée à un héros local fortement testostéroné. Sur fond de romance et d’horreur, le récit progresse avec un détachement et une étrangeté délectables, tout en vocabulaire érudit, en style ampoulé, en idées loufoques (un mainate muet qui ne chantera que devant son reflet, une aristocratique partie-fine au cours de laquelle les invités pousseront la luxure jusqu’à se molester à coups de saucisson, un Très Grand Trou abritant âmes attristées et amants sournois). Porté par de formidables dialogues, à la fois détaillés et lapidaires, philosophiques et terre-à-terre, Heurs et malheurs du sous-majordome Minor est un roman majeur.