Aa
X
Taille de la police
A
A
A
Largeur du texte
-
+
Alignement
Police
Lucinda
Georgia
Couleurs
Mise en page
Portrait
Paysage

ANTHONY

1 2 3

Nick Cave & The Bad Seeds – Higgs Boson Blues
Extrait de “Push The Sky Away” – 2013 – Rock hanté
Cigarettes After Sex  – John Wayne
Extrait de “Cigarettes After Sex” – 2017 – Dream Rock
Lea Porcelain – Similar Familiar
Extrait de “Hymns to the night” – 2017 – Cold wave

Le plus incroyable concert auquel j’ai assisté cette année. Dans un Zénith plein comme un œuf, Nick Cave et ses Bad Seeds vont rallier les indécis – dont j’étais aux premières minutes du show. « Higgs Boson Blues » sonne le vrai départ d’un show d’une intensité folle, où le plus si jeune crooner sort les habits de rock star. Magnétique.  Hypnotisant. Envoûtant. Les adjectifs pleuvent…  Entre la douleur toujours présente de la mort de son fils et la transe dans laquelle l’emportent ses chansons, Nick Cave lâche tout. Sur ce morceau, il se martèle la poitrine, retenu en bord de scène par les bras du public : « Can you feel the heart beat ? My heart goes BOOM BOOM BOOM !! ».  Dans une année marquée par les comeback réussis – Slowdive, Ride, LCD Soundsystem – Nick Cave rappelle avec maestria qu’il n’est jamais parti.

Les Texans de Cigarettes After Sex baladent un doux spleen dans lequel il fait bon sombrer. “John Wayne”, calme et apaisé, évoque plutôt l’idée d’un cowboy vieillissant, assoupi dans son rocking chair, repensant avec nostalgie à un époque révolue. Tout l’album évolue dans ce registre serein et cotonneux, enrobé d’arpèges de guitares gavées de réverbération. La voix transgenre de Greg Gonzales – sans contrefaçons, ce barbu est pourtant bien un garçon – et la musique de son groupe nous renvoient du côté de chez Mazzy Star. En plus calme.

Les allemands de Lea Porcelain frôlent souvent la faute de goût : leur nom n’est pas des plus heureux,  la pochette de leur album “Hymns to the Night” est assez peu raccord avec son titre, leur  musique est ultraréférencée (registre cold wave un peu martial, avec nappes de synthé, grosse basse et vague à l’âme traînant)… Mais quelque chose de l’ordre de la cohérence, de la sincérité dans l’exécution, de la naïveté qu’aurait un apprenti talentueux imitant ses maîtres, émane finalement de leur production. L’album est d’une très grande unité, agréable à écouter dans son intégralité, avec un petit goût de madeleine… “Hymns to the Night” invite le jury à prononcer de sincères encouragements pour une suite qui pourrait permettre l’expression – peut-être – d’une vraie personnalité.

 

 

 

LUCILE BELLAN

1 2 3

Pierre Barouh – La nuit des temps
Extrait de “Viking Bank” – 1977 – Samba triste
Polo & Pan – Canopée
Extrait de “Caravelle” – 2017 – Mégastar vrillée
Benjamin Biolay – Si tu disais
Extrait de “Trash yéyé” – 2007 – Glam sauvage

C’est une obsession qui aura duré de longs mois. Un morceau entendu au détour d’un film (sur une absurde scène d’orgie chez l’ambassadeur) et qui n’a pas été retrouvé. Pour des enfants gâtés de l’internet, aucune information ne semble être inaccessible, il aura pourtant fallu attendre longtemps pour retrouver la musique. C’est un morceau pour moi, celui là. Pour les moments de solitude. Pour le demi de Pietra au fond de la brasserie corse, les yeux des habitués rivés sur l’écran qui diffuse un match du championnat anglais. La musique dans les écouteurs qui m’enferme comme dans une bulle. C’est pour les longues promenades d’hiver sous la pluie dans le quartier qui est devenu comme une deuxième maison. C’est pour les bains interminables quand la maison semble vide mais où, en tendant l’oreille, on peut entendre le souffle lourd des enfants endormis à l’étage. Ce n’est pas un choix ironique. C’est un moment de solitude. À la fois triste et heureux. Post Coïtum Animal Triste.

C’est un road trip d’automne sous un ciel estival. Je voulais que Polo & Pan rythme le voyage, apporte un peu de joie légère et de mélancolie douce à nos heures de liberté. Le road trip, c’est quelque chose qu’on partage depuis le départ. La musique, elle est capitale. 1970 kilomètres en quelques jours, une bonne partie à deux. Le soleil et puis la route. Et les souvenirs qui se bousculent. D’autres trajets, d’autres moments, des instants à se trouver et à se retrouver, à tester ensemble toutes les boissons ésotériques des machines Selecta, à noter les aires d’autoroute, à le regarder gober des M&M’s, à faire des tops et des listes, à rire et à débattre. D’autres moments plus capitaux aussi. Avec lui, il y a la route et la musique. La destination, presque, ne compte pas.

Parfois je joue à me faire peur. C’est comme un frisson. L’espace d’un instant, j’imagine. Dans la gare, et si je prenais un autre train pour une destination inconnue où je ne connais personne. Et si j’arrêtais tout. Et si je ne rentrais pas. Et si, et si… C’est pour mieux retrouver l’équilibre de cette vie là. Une seconde, je joue à tout perdre. Et puis je réalise. Ils sont là. Ils sont tous là. Les deux foyers, les enfants, la famille étendue. La vie intense et douce, qui épuise parfois mais qui remplit l’âme toujours. Tellement heureuse qu’il ne me reste plus qu’à tout perdre. Pour l’instant, c’est un frisson. Et grâce à lui, je réalise la chance.

 

 

 

GUILLAUME AUGIAS

1 2 3

Frank Ocean – Provider
Single “Provider” – 2017 – Comme son nom ne l’indique pas
Sia – Underneath The Christmas Lights
Extrait de “Everyday Is Christmas” – 2017 – Étoile faîtière
Vince Staples – 745
Extrait de “Big Fish Theory” – 2017 – Auto-Reverse

Douce cruauté d’un créateur si rare – “Blonde” est toujours en tête, plus d’un an après – qui nomme l’un de ses deux singles de l’année Provider. Comme s’il fournissait ne serait-ce qu’un centième de ce que le plus mesuré des fans est en droit d’espérer. Mais le démiurge est souverain. Qu’importe le flacon, dès lors, amorces de name-dropping effréné ou prose hachée menue, pourvu qu’on ait l’ivresse des vrais sons qui nous bercent et nous raniment, haussant l’existence dans des sphères où douleur et bassesse n’ont plus cours.

Toute perplexité vis-à-vis de la tradition anglo-saxonne des albums de Noël – voire même d’Halloween ou Thanksgiving – est de l’ordre de la saine méfiance. Le fait que celui-ci, qui plus est, accompagne la sortie du nouveau film – “Santa & Cie” – de l’ancien Nul devenu le moins nul des ado-papis ne va pas calmer l’ardeur de notre freinage. Et pourtant voilà. Pour peu que vous convoquiez comme moi le souvenir d’écoutes d’une France Gall seventies – Si l’on pouvait vraiment parler – le charme du chant de Sia opère, bien au-delà de la surannée magie de Noël.

Prenez toute la grammaire du rap West Coast – femmes plantureuses, grosses cylindrées décapotables, goût mêlé du laidback et des sensations fortes – puis donnez-la à cette tête d’éternel gamin qu’arbore Vince Staples. Ce surdoué vous en fait un titre absolument inouï, à la fois sans aucun lien avec le Gangsta-rap à l’arrivée et semblant bien lui monter la voie pour les années à venir. Structure simple et diction traînante sont les ingrédients principaux que seul Staples sera en mesure d’assembler en une tambouille si barrée, haletante d’un entrain torve. Le regard d’un poisson mort n’a jamais été aussi vivant.

 

 

 

ERWAN DESBOIS

1 2 3

Gorillaz – Sleeping powder
Single – 2017 – Trip musical avec clavecin
Taylor Swift – Look what you made me do
Extrait de “…reputation” – 2017 – Mégastar vrillée
HMLTD – Satan, Luella and I (ou Stained, ou Music)
Single – 2017 – Glam sauvage

Le nouvel album de Gorillaz (Humanz, sorti sept ans après le précédent) contient vingt morceaux – et plus d’une trentaine en édition deluxe – mais pas la superbe chanson qu’est Sleeping powder. Celle-ci est l’œuvre du seul 2-D, leader du groupe et avatar virtuel de Damon Albarn. Lequel Albarn se dédouble sur Sleeping powder, à coups d’effets modulant sa voix (et les instrumentations autour) entre deux niveaux qui font de la chanson un mix inattendu et parfait : la concrétisation d’un duo « impossible » entre Gorillaz et Blur, prenant vie dans le trip opiacé annoncé par le titre du morceau.

Il y a deux Damon Albarn dans Sleeping powder, il y a beaucoup plus de Taylor Swift dans Look what you made me do. Comme quelqu’un l’a écrit sur Twitter : « qui aurait pu penser que la dispute entre Taylor Swift et Kanye West aux MTV Awards [en 2009] allait les rendre tous les deux fous une décennie plus tard ? ». Look what you made me do et son clip sont un déversement de schizophrénie que plus aucune digue ne parvient à retenir. La chanson change sans cesse de ton et de rythme, les refrains tranchant net avec les couplets et les ponts prenant encore une autre direction. Il n’y a pas de raccord qui tienne, alors il n’est pas étonnant que l’on finisse par se croire dans Lost highway lorsque Swift susurre, goguenarde : « I’m sorry, the old Taylor can’t come to the phone right now / Why ? / Oh, ’cause she’s dead ! ».

Enfin, pour finir cette playlist schizo, la découverte musicale de l’année. Le groupe anglais HMLTD n’a encore ni album, ni page wikipédia mais son « extrémisme foutraque » (l’expression est de Libération) a secoué les festivals – Transmusicales, Eurockéennes, Pitchfork – et habite une pleine poignée de singles baroques et dévastateurs, qui nous invitent avec la même énergie à venir baiser ou à aller nous faire foutre. Il y a pêle-mêle chez HMLTD du glam androgyne façon Ziggy, du punk, de l’électro et bien d’autres encore, mixés dans un shaker dément et hors de contrôle qui bascule sans prévenir d’un extrême à l’autre.