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Les Garçons Sauvages de Bertrand Mandico : genre fluide

Sortie en salle le 28 février 2018

Par Sarah Arnaud, le 23-02-2018
Cinéma et Séries

Dans un autre lieu, un autre pays, une autre dimension : un jeune homme apparaît. Il est sur une plage. Une tempête sombre mais douce, gronde. Des voix appellent son nom, Tanguy. Il se frappe violemment, intentionnellement la tête sur un rocher. Saoul et sonné, il s’effondre. Des marins arrivent et le tripotent. Ils vont le violer.

Flashback improbable dans ce récit qui semble déjà décousu. Deux voix-off nous racontent l’histoire de cinq jeunes garçons (sauvages). Amoureux de leur professeure de littérature, éméchés, ils abusent d’elle. Moment décrit par cette femme attachée sur un cheval qui part au galop. Son corps sera retrouvé dans le caniveau. On ne voit rien, ou plutôt on voit autre chose que ce qui est raconté. L’espace est celui d’une rêverie, faisant appel à des codes absolument pas spécifiques à un univers fantasmatique. Les cinq garçons passent devant un juge. Ils sont défendus comme s’ils étaient les victimes. La femme était de mœurs légères. Les garçons sont des jeunes un peu perdus. Puis l’on voit les parents. Dans une maison coloniale, ce qui témoigne ainsi et surtout de leur aisance financière, un milieu riche, une opulence bourgeoise, les parents décident d’envoyer les garçons sur un bateau. Celui du Capitaine, qui va leur apprendre à être docile, à se calmer. Ecole de la vie, méthode à la dure ! Ils dorment sur le ponton, glacés par le vent et la pluie. Enfin sur une île, le Capitaine les abandonne quelques temps aux plaisirs du lieu : une plante qui vous éjacule du vin dans la bouche, un buisson servant de poupée gonflable Nature et découvertes… Pendant ce temps, le Capitaine retrouve son amour : le Docteur. Femme élégante, seins dardant sous sa veste de costume. Elle dit qu’elle n’a pas toujours été comme ça, que le Capitaine doit se rappeler à quoi elle ressemblait avant. Le film prend son temps pour gérer tous ces mystères. La forme est fantasmée : on oscille entre le noir et blanc, des séquences en couleur, de la musique forte, des moments de silences, des symboles, des dialogues métaphoriques… où veut aller Mandico ? Loin, très loin. Il veut aller dans les entrailles du lieu. L’île est dite être une huitre : entre plantes mouvantes et fluides quasi corporels, les garçons se promènent et dégustent des fruits poilus que leur serve le Capitaine. Pris dans une chrysalide dégoulinante, Hubert est le premier à en ressentir les effets : des seins lui poussent. Les autres l’abandonnent. Le Docteur le récupère.

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Jouant sur le genre cinématographique et sur l’apparence physique, le réalisateur assume : les genres sont fluides

Il s’agit d’un voyage initiatique. Mais contrairement aux apparences, la transition adolescente n’est pas le sujet principal. Les corps se modifient, les personnalités s’affirment. Avoir des seins devient signe de révélation et de confirmation de son soi-même. Le discours devient clair. Les garçons sont joués par des actrices. Jouant sur le genre cinématographique et sur l’apparence physique, le réalisateur assume : les genres sont fluides. Bertrand Mandico s’amuse de ce discours sans le remettre en cause. Parce qu’il s’agit d’un homme à la réalisation, parce que rien n’est réel dans sa structure, parce qu’on slalome à l’intérieur d’un imaginaire foisonnant, l’humour et la légèreté prennent le dessus. Le discours n’est pas annulé. Bien au contraire, on voit apparaître la question du corps et de la détermination féminité/masculinité. En tordant la forme de son récit, en jouant sur plusieurs formats et plusieurs couleurs, Mandico offre un principe : le genre est imposé à l’être mais ce n’est pas une malédiction. Vous avez une vulve et des seins ? Vous allez apprendre à gérer ! Rien ne nous force à comprendre ce film comme un pamphlet féministe. Nous sommes plutôt dans l’expérience poétique et visible du changement de sexe. Cette obligation du physique, cette force de la nature, rappelle que la question du masculin et du féminin ne peut plus se poser. Il faut faire avec. Et ces transformations sont vécues dans la joie, dans la découverte. Du présumé fardeau d’être femme, se dessine pour les garçons, la possibilité d’une nouvelle vie, dont le récit démarre quand le film s’arrête. A la fin, ces personnages ont changé, physiquement. La suite, c’est le début d’une vie, si possible avec moins de violence. L’obligation est minime (cela arrive d’avoir un utérus et ce n’est pas bien grave !) et la vie part de là : nous ne voyons pas la suite parce que le rigolo pamphlet de Mandico n’a pour sujet que l’acceptation et la modification du corps. Variation sur le thème de la subordination : il n’y a pas de supériorité du masculin sur le féminin, mais le film nous permet d’y réfléchir. Ils ne sont pas punis par leur transformation, mais la métaphore de la transformation en femmes est ici envisagée comme une mise en perspective. Leur perte de pénis, c’est la compréhension que la possession d’une verge ne donne pas tous les droits. Nous revenons à la question du sauvage, de l’animal. Le questionnement n’est pas sociétal, mais bien charnel. Où est la limite du désir animal ? Dans l’abus, le vulgaire. Où est la transgression ? Dans ce sentiment de « bon droit » qu’ont les garçons.

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Mandico ne châtie pas tel un dieu justicier. Il prend tellement de distance que le discours coule de lui-même. Il ne se fait pas castrateur, les fruits le font pour lui. Il ne se fait pas moralisateur, le spectateur le devient pour lui. Jamais appuyé, jamais rajouté, le contenu survit. Mandico se pose des milliards de questions sur ce qu’il est, sur ce que sont ses actrices, sur ce qu’elles représentent à l’écran qu’elles soient seins nus ou grimées en jeunes yé-yé. Le fait même que les seins soient le premier élément apparent prouve l’approche humoristique du réalisateur. Il n’est pas en train de défendre que toutes les femmes assument leurs seins (petits, grands, gros, creux) ni qu’ils soient un étendard de la féminité. Non, c’est un élément ajouté à un corps, corps face auquel l’esprit va devoir réagir, s’habituer. Il y a de la fatalité dans ce film. Nous sommes dans la normalité du corps féminin, dans son quotidien presque (on regrette de voir les actrices seins à l’air pendant les 20 dernières minutes du film cependant).

Le résultat est fou, magique, intransigeant, drôle

Mandico cherche un équilibre difficile entre obligation et acceptation. Le ton humoristique, la notion poétique du film, l’atmosphère fantastique ; tout ceci converge vers la possibilité d’adoucir une fatalité. Clairement, il prend des pincettes, et tant mieux ! Le débat est lancé mais il s’agit de jouer sur les lumières, de filmer des pénis en plastique (possible que ça soit en papier mâché, rien n’est moins sûr), de filmer ses acteurs/actrices. Le questionnement est clairement laissé aux comédiennes : comment se tiennent-elles ? Quels éléments de leur allure et de leur corps tendent plus ou moins vers la féminité ou la masculinité ? Ce que le réalisateur offre, c’est une véritable possibilité de négocier avec son genre et son physique. Il dit que c’est possible, que cela a forcément fait partie du jeu et de la direction d’actrices. Le temps s’étire, les repères se perdent. Le film devient éprouvant mais dans un sens poétique : nous sommes confrontés à la contrainte physique mais sans frénésie, sans hystérie. L’humour prend le dessus, le non-sens détend le discours. Le résultat est fou, magique, intransigeant, drôle. Ce qu’il reste : la performance de Pons, Snoek, Lorillard, Warnier et Rouxel. Le jeu est le sujet. Mandico s’enlève complètement du contenu intellectuel pour les laisser être l’argument principal du film. Il nous les montre gérer leur allure, leur voix, leur tenue. La forme est à l’image du jeu : tout est fluide, tout se mélange.