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Dans le monde des routes, un beau paysage signifie : un ilôt de beauté, relié par une longue ligne à d’autres ilôts de beauté.
Dans le monde des chemins, la beauté est continue et toujours changeante ; à chaque pas, elle nous dit : “Arrête-toi !”.

Si l’on s’en tient à ces définitions apportées par Milan Kundera dans L’Immortalité, la discographie et les albums de Dominique A sont bien des chemins, comme le confirme « Cycle », très belle chanson qui ouvre Latitude, son douzième album.

Du début jusqu’à mi-chemin
De mi-chemin jusqu’à la fin.

Quand on aborde un album de Dominique A, on sait qu’on peut prendre son temps, qu’on va passer tellement de temps avec lui que la première impression ne sera pas définitive, même si elle reste souvent la bonne. On n’attend pas le tube imparable avec des creux entre les coups. On s’en tient à cette qualité globale qui ne semble plus s’altérer. Dominique A se laisse guider par ses envies. Après la volonté de jouer en trio et d’ajouter des cordes à ses chansons (Eleor), il a voulu laisser libre cours à ses tentations électroniques avant de revenir cette année encore en mode acoustique.

Si ses inclinations électriques restent néanmoins présentes, le traitement est assez différent de ce qu’il avait fait sur La Musique et n’est jamais uniforme. Il y a une pulsation et un ton plus sombre (ce n’est pas Suicide non plus…) sur « Les Deux Côtés d’une Ombre », morceau qui arrive à rester mystérieux sans devenir opaque. Il incorpore ces éléments naturellement à son style, ne voulant pas se contenter d’emprunter des gimmicks. Cette façon de faire apporte une certaine force percutante à « La Clairière ». La voix reste très en avant, ce qui ne découragera pas les amateurs de chanson française. C’est une basse synthétique qui bourdonne sur « Corps De Ferme à l’Abandon », morceau fort parce qu’il ne surligne rien. On a cette évocation très discrète du mal qu’on avait tant aimée sur le sublime « Rue Des Marais », un naturalisme qui lui va bien et qui situe ses histoires à hauteur d’homme (« Désert d’Hiver », « La Clairière » qui semble évoquer les migrants). Plus peut-être que le ton concerné de « Se Décentrer ».

En sus des mots justes, il sait qu’il peut maintenant compter sur un sens mélodique poussé

Cette idée du mal se retrouve aussi au détour de « La Mort d’un Oiseau » qui peut renvoyer à ses albums les plus anciens et constituer un écho au « Courage des Oiseaux », son paradoxal et imparable tube. Mais la forme est plus élaborée, plus étoffée, sans que cela n’altère sa sécheresse. Anecdotique dans le fond, ce morceau est un peu glaçant par la relation précise qui y est faite et la simplicité frontale du questionnement. En sus des mots justes, il sait qu’il peut maintenant compter sur un sens mélodique poussé, qu’on retrouve sur « Aujourd’hui n’existe Plus », « Désert d’Hiver » ou le très beau « Toute Latitude » (Nous avions toute latitude/Et toute la vie/Aucun engagement d’aucune sorte/Et pour seule devise ‘Peu Importe’). Certes, les sons sont un peu plus synthétiques, mais la densité, voire un certain grain, sont toujours présents.

Il est confirmé sur Ursa Minor, extension de huit morceaux disponible dans l’édition limitée, que ses premières amours musicales étaient new-wave et post-punk. S’il n’a jamais embrassé complètement cette tendance dans sa discographie, ce qu’on entend occasionnellement ici (et sur Eleor aussi) pourrait s’en approcher. Plus dans l’esprit que dans la lettre d’ailleurs. Notons au passage qu’il est toujours resté imperméable à cette mode seventies qui touche beaucoup de ses compatriotes contemporains (Benjamin Biolay, Vincent Delerm, Arnaud Fleurent-Didier, Jeanne Cherhal, Barbara Carlotti, Florent Marchet et plein d’autres…).

Comme presque toujours chez lui, ce second volet peut être vu comme l’autre partie d’un indispensable diptyque, surtout que si le spoken word y est de rigueur, la couleur musicale est proche, avec une occasionnelle pulsation sur arpège (« L’Eau Des Cailloux »). On y retrouve entre autres des évocations musicales personnelles (« Nationale 137 ») ou des références à des artistes chers (Léonard Cohen ou Nick Drake avec un implacable « Comme quoi la grâce ne préserve pas de l’oubli »).

Depuis L’Horizon, Dominique A assure le sans-faute sans répétition. Il aurait pu emprunter une autoroute, mais trace son propre chemin en négociant à la perfection chaque virage.