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Mon Tissu préféré : Syrie et route du soi

Présenté vendredi 11 mai 2018 à Un Certain Regard. Sortie : 18 juillet 2018. Durée : 1h36.

Par Damien Leblanc, le 17-05-2018
Cinéma et Séries
Cet article fait partie de la série 'Cannes 2018' composée de 24 articles. En mai 2018, la team cinéma de Playlist Society prend ses quartiers sur la Croisette. De la course à la Palme jusqu’aux allées de l’ACID, elle arpente tout Cannes pour livrer des textes sur certains films forts du festival. Voir le sommaire de la série.

Prenant place à Damas en mars 2011, au moment où démarrent les premières manifestations contre le régime de Bachar el-Assad, Mon Tissu préféré – premier film de la Syrienne Gaya Jiji – a une manière toute personnelle et intime de représenter les prémices de la terrible guerre à venir. On suit en effet ici les évènements et les répressions en arrière-plan, le premier plan étant lui occupé par le personnage de Nahla, jeune femme célibataire travaillant dans une boutique et vivant dans une famille exclusivement féminine, composée d’une mère autoritaire et de deux sœurs.

Présentée d’emblée comme rêveuse, mélancolique mais aussi exigeante quant à ses choix de vie, la jeune fille (interprétée par la brillante Manal Issa) souhaite conquérir le cœur de Samir, un expatrié syrien vivant aux États-Unis et à la recherche d’une épouse avec qui il pourra aller vivre le rêve américain. Mais face au caractère bien trempé de la jeune femme, qui ne tient rien pour acquis dans le domaine de la séduction et décèle chez Samir une forme de tristesse résignée, le jeune homme choisit finalement d’épouser la sœur cadette de Nahla. Déçue par le comportement de Samir et par ce que le monde a à lui offrir, notre héroïne va alors explorer l’univers de Mme Jiji, une voisine d’immeuble qui s’avère être une tenancière de maison-close. Nahla semble en effet voir dans cette nouvelle fréquentation une ultime manière de conquérir son destin.

En créant une atmosphère onirique et presque ouatée, où cohabitent la tonalité tragi-comique de l’environnement familial de Nahla (où ont lieu d’étranges disparitions de tablettes de chocolat) et la violence sourde de la guerre civile qui s’annonce en Syrie, Gaya Jiji fait une entière confiance à ses alternances rythmiques et à sa photographie ombragée pour dépeindre toute l’étendue contradictoire des désirs, des frustrations et des cruautés ici à l’œuvre. Les images d’archives des répressions et exactions de 2011, prises sur Internet, rappellent évidemment le documentaire Eau argentée d’Ossama Mohammed et Wiam Simav Bedirxan.

Mais par sa manière de faire vivre à l’écran une imagerie de fantasmes érotiques et de les confronter à une réalité historique et sociale profondément traumatisante, Mon Tissu préféré acquiert ses lettres de noblesse fictionnelles et cinématographiques. Et dresse in fine le touchant portrait d’une jeune femme à qui la collectivité refuse tellement de prendre en compte les aspirations qu’elle ne peut plus compter que sur la transgression pour aller à la rencontre d’elle-même et goûter à un ailleurs utopique, unique moyen d’échapper à une révoltante fatalité.

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