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01. Courtney Barnett – « Sunday Roast » (Anthony)
Extrait de Tell Me How You Really Feel – 2018 – Rock
Courtney Barnett, c’est la bonne copine, fun et mélancolique à la fois, qui suit son petit bonhomme de chemin en pratiquant sérieusement son artisanat de musicienne sans donner l’impression de se prendre au sérieux. Biberonnée à l’indie rock des 90’s, elle propose ballades introspectives ou sautillantes, petits brûlots nerveux ou ironiques, clôturant son album par une petite merveille, « Sunday Roast ». Deux chansons dans la chanson, partagée entre une partie intimiste en arpèges et une envolée plus lyrique en mode “refrain ad lib”.  On passerait bien une fin de soirée à boire des coups avec Courtney.

 

02. Charles Howl – « Meet Lou’s Needs » (Isabelle Chelley)
Extrait de My Idol Family – 2017 – Pop rêveuse
Par acquit de conscience, je jette toujours un œil et une oreille aux premières parties dans les concerts. Il m’arrive de me replier vite fait au bar. Ou, dans le cas de Charles Howl, de me promettre en rentrant de me plonger dans la discographie du monsieur. Depuis vendredi dernier, je sais donc qu’il est bassiste de Proper Ornaments, qu’il a enregistré deux disques en solo, dont celui-ci à Amsterdam, pour s’arracher de son cadre familier londonien et qu’en matière de dream pop baignant dans un psychédélisme léger, il assure. « Meet Lou’s Needs » est un parfait résumé de ce son à la fois mélancolique et vaguement planant, élégant et cotonneux, qu’on retrouve au fil d’un album dans lequel on passe des heures à s’immerger dans les harmonies ou les paroles à l’acidité subtile…

 

03. Cardi B – « Bodak Yellow » (Guillaume Augias)
Extrait de Invasion of Privacy – 2018 – Bole Dance
Outre-Atlantique, ce single est le plus gros succès d’une rappeuse depuis Lauryn Hill il y a vingt ans. En interview il y a peu chez le sémillant Nardwuar, la native du Bronx issue de la scène Pole Dance a cette phrase séminale : « Je ne peux pas dire certaines choses, je suis enceinte ». Si le caractère approximatif de son flow, censé renvoyer à celui du jeune et fougueux Kodak Black, n’est pas un obstacle à la gloire, c’est sans doute que ses défauts sont emportés par l’ouragan de sincérité et de naturel qui caractérise ses textes et la personnalité qu’ils dévoilent. Moins technique que Nicki Minaj, elle fait en outre de son apparente candeur une force et a l’intelligence d’éviter la comparaison frontale.

 

04. Arctic Monkeys – « Star Treatment » (Erwan Desbois)
Extrait de Tranquility Base Hotel & Casino – 2018 – Pop lunaire
Après s’être mué en crooner lors des concerts des Arctic Monkeys, Alex Turner l’est donc également devenu sur les disques du groupe avec ce sixième opus, qu’il a composé seul au piano avant de l’enregistrer avec ses acolytes. Radicalement différent de tous les précédents, l’album prend à rebrousse-poil lors de la première écoute, puis le charme opère : on se surprend à le faire tourner en boucle, ce que la cohésion de l’ensemble encourage. Les onze chansons de cet album concept (somme d’histoires mélancoliques et ironiques de personnages résidant sur une Lune colonisée et gentrifiée, d’où le titre du disque) s’enchaînent naturellement, elles forment un tout homogène où mon choix s’est porté sur « Star Treatment » pour la seule raison qu’elle est la première. Avec une merveille de ligne d’ouverture : « I just wanted to be one of the Strokes ». Plus il se camoufle en apparence derrière un (ou des) personnage(s), et plus Alex Turner se révèle dans sa musique et ses paroles.

 

05. Fiona Apple – « Paper Bag » (Sarah Arnaud)
Extrait de When The Pawn – 1999 – Ritournelle cassée
Fiona Apple sort son deuxième album en 1999. En pleine sortie de son premier, elle mentionne une anecdote alors qu’elle est en dépression : une colombe s’envole, elle regarde de plus près, il s’agit d’un simple sac plastique. Apple décrit ce sentiment de croyance envers les sentiments de l’autre et ce moment puissant où les apparences retombent : finalement, elle n’aura pas cet homme. Le ton est jovial, des cuivres pimpants, une batterie douce. « Paper bag » est une ritournelle. La voix de Apple trahit toujours : c’est un son tranchant, des mots qui grincent, une voix dont la gravité encombre la niaiserie. Elle y parle de se tromper, de se faire avoir… et même quand elle l’assume, le garçon tremble trop pour être à la hauteur. Sous des faux airs de chansonnette, « Paper bag » se voit empruntée de violence. Apple déchire le rythme, haletante, brisée, déclamant « la faim blesse, mais je le veux tellement que ça tue »… puis elle repart tranquillement, entêtante, comme un doux manège.

 

06. Dominique A – « La Clairière » (Benjamin Fogel)
Extrait de Toute Latitude – 2018 – Rock français
Dominique A a sorti tellement de grands albums ces dernières années que l’on pourrait croire que Toute Latitude n’est qu’un grand album de plus. Mais en réalité, c’est un disque qui pousse le curseur encore un peu plus loin. C’est une exploration totale, musicale et textuelle, de son l’univers. À mi chemin entre la synthèse et le surpassement. Chaque titre porte sa propre histoire et son propre style au point que l’ensemble pourrait (devrait) être incohérent. L’inverse se produit pourtant. Tout s’imbrique naturellement ici. C’est léger et grave, souvent en moins de 2 min 30. C’est incroyable tout ce que Dominique A arrive à exprimer sur des titres aussi courts, à l’image de « La Clairière ».

 

07. Chavela Vargas – « Adoro » (Nathan)
Extrait de Boleros – 1991 – Chanson d’amour
Depuis Todo Sobre Mi Madre d’Almodovar, après avoir entendu la version de « La Llorona », je suis fasciné par Chavela Vargas. Il y a quelques semaines, avant de partir au Mexique, je suis tombé sur cette photo de Chavela et Frida Kahlo. La joie dans cette photo est aussi émouvante que cette chanson d’amour, « Adoro ».

 

08. Stephen Malkmus & the Jicks – « Refute » (Thierry Chatain)
Extrait de Sparkle Hard – 2018 – Duo country décalé
Stephen Malkmus n’a rien, à l’occasion contre une petite bal(l)ade campagnarde – on le sait depuis « Range Life », l’un des sommets du Crooked Rain, Crooked Rain de Pavement, classique du rock alternatif des nineties. Ici, sur ce qui est la cerise (guère représentative) sur le gâteau – un mille-feuilles nullement écœurant – qu’est son nouvel album avec les Jicks, l’éternel jeune homme fait appel à sa vieille copine Kim Gordon. L’idée est simple : revisiter la figure classique du duo adultère, avec tous les oripeaux country afférents, crincrin et dobro. Mais Malkmus restant Malkmus, il ne peut s’empêcher de glisser quelques rimes peu orthodoxes (« Egon Schiele prints and French fries » chez l’ancienne Sonic Youth répond à son « Paint-on lips and French knee highs ») et un petit décalage sur l’objet du désir de Madame. « Refute » parvient ainsi à conjuguer sincérité et distance méta, ou, si l’on préfère, à obtenir le beurre et l’argent du beurre. Le sourire de la crémière aussi ? J’imagine bien celui, façon chat du Cheshire, de Kim Gordon…

 

09. Okkervil River – « Human Being Song » (Thomas Messias)
Extrait de In the Rainbow Rain – 2018 – Cérémonie de clôture
Exprimant avec une relative simplicité la difficulté qu’il y a à être un être humain, « Human Being Song » ferme la marche du dernier Okkervil River. Le morceau est assez représentatif de ce qui s’est produit pour le groupe il y a quelques albums : moins immédiatement accrocheur que précédemment, moins viscéralement addictif, le groupe de Will Sheff est cependant toujours aussi adorable, parce qu’il a juste choisi une autre façon d’exprimer son humanité et de dévoiler ses failles. Le superbe morceau d’ouverture de l’album précédent s’appelait « Okkervil River R.I.P. ». Vraisemblablement, le groupe n’est mort que pour mieux ressusciter.

 

10. Clara Luciani – « Sainte Victoire » (Arbobo)
Extrait de Sainte Victoire – 2018 – French pop
Parfois je me sens un peu idiot de découvrir les tubes du moment après tout le monde, alors que j’essaie de fouiller à droite à gauche pour faire des découvertes plus secrètes. Malheur au snobisme, car il prive (parfois) de plaisirs partagés. Clara Luciani, impossible pour moi de passer une journée sans écouter au moins une fois son album. Et impossible de n’écouter « La Grenade » qu’une seule fois, ses tourneries, sa basse souple comme les cuisses de Christine Arron, ses paroles acérées comme l’épée d’Elodie Clouvel : un vrai tube, quoi. Mais quelle fin d’album aussi, savoir faire danser sur des paroles intelligentes est déjà peu fréquent. Savoir créer de la tension en tempo lent, avec ce qu’il faut de mélo comme dans « Drôle d’époque », c’est avoir plus d’une corde à son arc. Et ce parler maîtrisé, bien dans son temps, lâché en final. C’est fin. C’est brutal. Je passais des heures carrées à écumer les catalogues des années 1980, “quand soudain”…

 

11. Anna Von Hausswolff – « The Mysterious Vanishing of Electra » (Marc Mineur)
Extrait de Dead Magic – 2018 – Gothique des fjörds
La qualité d’un·e artiste peut aussi se mesurer à sa propension à transcender le style qu’elle ou il est sensé·e exercer. Si on devait étiqueter la chanteuse de Göteborg, on serait tenté d’utiliser l’épithète de “gothique”. Comme le genre est large et confine aussi au n’importe quoi comme le confirme le retour d’Evanescence, on n’appuiera pas trop sur l’étiquette pour ne pas qu’elle attache trop. Surtout qu’elle arrive à s’éloigner de bien des clichés, s’approchant d’un naturel bien rafraîchissant. Au passage, elle nous livre un des plus gros morceaux de l’année, entre la lourdeur des Swans, un son d’orgue toujours au top et des envolées tellement sincères que les poils de bras prennent résolument une allure verticale.

 

12. Childish Gambino – « This Is America » (Christophe Gauthier)
Single – 2018 – Coup de poing
Ce 6 mai 2018, la carrière de Donald Glover a pris un virage mémorable. Venu faire le pitre dans l’émission Saturday Night Live et faire un peu de promo au passage pour Solo : A Star Wars Story (dans lequel il reprend la cape de Lando Calrissian), il en a aussi assuré la partie musicale sous son pseudo de Childish Gambino. Oubliée la soul suave et princière de Redbone, son précédent hit ; This Is America est un brûlot sur fond de gospel et de trap mêlés, dénonçant les conditions de vie du peuple noir aux Etats-Unis. Pour enfoncer encore un peu plus le clou, le clip du morceau, balancé sur Youtube parallèlement à la prestation télévisée, est bourré de références et de symboles. Glover, torse nu et yeux fous, défouraille à tout va, danse tandis que l’apocalypse se produit en arrière-plan et tend à l’Amérique un miroir qui lui renvoie tout ce qu’elle a de plus laid. La chanson comme le clip font réfléchir et mettent mal à l’aise. Puissant.