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Entretien avec Bruno Podalydès, pour la sortie de Bécassine !

Sortie du film le 20 juin 2018

Par Quentin Mével, le 13-06-2018
Cinéma et Séries

Comment vous êtes-vous attelé à cette adaptation de Bécassine ?
Une productrice rêvait de voir Bécassine porté à l’écran et m’a proposé un scénario écrit par d’autres. Qui ne me convenait pas du tout. J’ai relu à peu près les deux tiers des albums, j’ai prélevé à droite à gauche quelques ingrédients, et puis j’ai imaginé une histoire originale pour en faire un film, parce que les albums sont constitués de petites saynètes. Il n’y a pas vraiment de récit. L’histoire avec Loulotte (petite fille adoptée par la marquise dont Bécassine va s’occuper, ndlr) était intéressante, je suis parti là-dessus.

On sent l’envie de réaliser un film familial…
Ça faisait longtemps que j’avais envie de réaliser un film pour enfants, ça faisait aussi longtemps que j’avais envie d’un premier rôle féminin. J’ai toujours tourné autour d’Hergé, et j’ai trouvé qu’il y avait même ici des choses pré-Hergé – ça m’intéressait d’avoir un petit côté Moulinsart. Le gros déclic est lié au fait que j’ai très vite pensé à Emeline Bayart pour le rôle. J’ai écris en pensant à elle. Avec elle, je pouvais approcher une Bécassine humaine, drôle et touchante aussi. Elle joue avec tout son corps et crée un équilibre entre l’aspect burlesque et quelque chose d’émouvant.

Le personnage de la marquise, très libre, vient de la BD ?
Ce n’est pas le côté grande bourgeoise qui m’intéressait pour le personnage de la marquise mais plutôt ce que j’ai connu à Versailles, des aristocrates désargentés. Ils avaient un sens de la fête : même s’ils n’avaient plus beaucoup d’argent, ils organisaient une grande fête chaque année pour donner au change. Ça me touchait, j’ai même croisé un gars qui faisait croire qu’il faisait des fêtes alors qu’il était seul. Il riait et mettait la musique forte en se baladant sur son balcon. Je suis parti de choses comme ça, et grâce à Karin Viard, le personnage a gagné en fantaisie, elle accepte de perdre de l’argent, elle est accueillante – elle n’a pas peur des étrangers.

Bécassine est très positive, notamment au regard du cynisme ambiant ou plus simplement d’une légère médiocrité.
Oui je pense que la poésie du personnage vient de la BD – le graphisme même, le contour, le trait. Le fait qu’elle n’ait souvent pas de bouche lui donne du mystère. Elle a l’air constamment étonné, elle ne calcule pas, elle n’anticipe pas. Elle est franche, fidèle. On ne peut pas trahir bécassine. Le personnage qu’interprète Denis par exemple est comptable. C’est le gars conservateur. Un peu réac. Ce n’est pas un rêveur.

Le personnage de Rastaquoueros apparaît à quel moment de l’écriture ?
Il faut toujours un gars qui vienne bousculer et déranger un peu tout le monde. C’est le gars de la roulotte, le saltimbanque. L’homme de spectacle. Ce nom m’amusait par rapport au nom de Rastapopoulos dans Tintin. Mais ce n’est pas du tout le même personnage dans la BD, c’est un riche financier. On a tous un côté autarcique, replié. Le château jouait en partie ce rôle dans le film. Et l’arrivée de Rastaquoueros agit en fait comme une chance. Accueillir l’étranger, c’est toujours une chance. C’est aussi simple que ça.

Ce personnage vous ressemble aussi par son goût du spectacle, de la magie. D’ailleurs, le film vous ressemble beaucoup.
Le film me ressemble parce que j’y mets des choses que j’aime beaucoup. Profondes, viscérales, primitives, comme le théâtre de marionnettes ou mon goût pour le pré-cinéma. Les ingrédients sont des choses qui me sont chères. Les émotions que je cherche à raconter sont ancrées en moi comme beaucoup de gens qui aiment le cinéma. Mettre un point d’exclamation à Bécassine ! est une façon d’affirmer une image du cinéma. Quelque chose d’unique, un rideau rouge qui s’ouvre et se referme. Une espèce d’enchantement que j’ai connu au début de ma vie de spectateur. Dès lors que je mets des choses qui me sont très précieuses, le film devient très personnel.

Adapter, ou travailler à partir d’une BD influe-t-il sur la mise en scène ?
C’est très agréable d’avoir une BD en amont du projet parce qu’il y a des tas de très beaux dessins chez Pinchon, ce qui nous autorisait les uns et les autres à jouer un peu outrés, à penser à nos silhouettes. On jouait avec tout le corps. Lorsque Bécassine marche pour s’éloigner de l’enfant la nuit, elle propose une démarche qui fonctionne presque comme un arrêt sur image. Cela renvoie directement, même si ces actions n’existent pas dans les albums, aux dessins. Il y a une stylisation des gestes qui nous est autorisée parce qu’on venait des dessins de Pinchon. J’essaie de ne pas trop montrer de choses pour ne pas fermer de portes – et puis souvent, les personnages ne ressemblaient pas aux albums, cela aurait été un peu perturbant. C’est davantage un parfum, une humeur. Dans les décors, les couleurs. J’aime beaucoup la chambre de Bécassine avec des rayures très larges et peintes à la main. Ce n’est pas industriel. Et ça se sent.

Propos recueillis par Quentin Mével à Paris.