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01. 070 Shake – « Glitter » (Guillaume Augias)
Extrait de Glitter – 2018 – Grain de révolte
Née musicalement en 2016 dès les premières minutes d’un freestyle ébouriffant, 070 Shake – de son vrai nom Danielle Balbuena – aura été remarquée dans trois morceaux parmi les sorties-sept titres de mai-juin lancées par un Kanye West tout feu tout flamme : « Santeria » sur Daytona, le superbe « Ghost Town » qu’elle conclut sur Ye et « Not For Radio » sur Nasir. Issue d’un supposé calme état du New Jersey, elle déploie du haut de ses vingt ans un flow athlétique et des prods ouatées qui viennent servir un vague à l’âme tenace semblant lui-même brandir un fier middle finger aux vacuités de l’âge adulte. La phase séminale par laquelle elle aura surgi au monde, « We’re still the kids we used to be », est ainsi vécue comme un programme autant qu’une victoire.

 

02. Nas – « Cops Shot the Kid » (Benjamin)
Extraits de Nasir – 2018 – Hip Hop
Nas vient de sortir Nasir, son onzième album. Alors que cela devrait être un événement en soi, la raison pour laquelle nous sommes tous si excités par ce disque est qu’il s’agit d’une des cinq briques du plan de Kanye West – 5 albums de 7 titres publiés à 1 semaine d’écart – pour conquérir le monde.  Après Daytona de Pusha T (cf le titre de Nathan), Ye et Kids See Ghosts avec Kid Cudi (cf le choix d’Erwan) et juste avant KTSE de Teyana Taylor, Nasir est une réussite incroyable où Nas se fait complètement absorbé par le souffle de Kanye, par la modernité de sa prod et par son génie pop. Tout ce qui vient de Nas semble ici accessoire. Ses textes tournent en rond, son flow fait le job sans fulgurance. Il est un instrument parmi d’autre de la folie du projet de Kanye, d’imposer en un mois les cinq meilleurs albums de rap pop de l’année. Le résultat est puissant, varié et stimulant, ouvrant pour Nas tout un monde jusque-là inexploré

 

03/04. Kanye West & Kid Cudi – « Ghost Town » & « Freeee (Ghost Town pt. 2) » (Erwan)
Extraits de Ye et Kids See Ghosts – 2018 – Beau travail d’équipe
A mon tour de piocher dans les cinq albums produits par Kanye West, pour lui-même et d’autres artistes. Projet follement enthousiasmant, qui apporte une manière neuve d’offrir la musique (et donc de la recevoir) ; le collectif prend le pas sur l’individuel, ce qui tire tous les participants vers le haut – “when we all clicking like Golden State” (la meilleure franchise actuelle de la NBA, collection de talents quasiment invincible car elle parvient à jouer réellement en équipe), comme le rappe Pusha-T sur « If You Know You Know ». Chaque album a au moins une pépite (« Come Back Baby » chez Pusha-T, « Cops Shot the Kid » chez Nas, « Rose in Harlem » chez Teyana Taylor), mais je vais retenir les deux chansons qui se répondent explicitement d’un disque à l’autre : « Ghost Town » sur Ye, de Kanye, et « Freeee (Ghost Town pt. 2) » sur Kids see ghosts, de Kid Cudi et Kanye. « Ghost Town » était d’ailleurs initialement prévue pour apparaître sur ce dernier, signe de la perméabilité des albums entre eux et de la vision globale du projet.

 

05. Pusha T – « Santeria » (Nathan)
Extrait de Daytona – 2018 – Hook du KO
Il y avait longtemps que je n’avais pas été si obsédé par une chanson. Au point de l’écouter une vingtaine (sûrement plus) de fois en une ou deux semaines. C’est parce que ce hook en espagnol de 070 Shake (cf le choix de Guillaume – et je seconde son éloge de son EP, Glitter) est aussi émouvant que surprenant, et entêtant. Je sais pas quoi dire, et je sais pas écouter quoi que ce soit d’autre.

 

06. LANE – « Teaching Not To Pray » (Anthony)
Extrait de Teaching Not To Pray EP – 2018 – Revival Rock
Une parenthèse de près de 20 ans vient de se refermer. Les Thugs avaient raccroché les crampons en 1999, après une carrière hexagonale et internationale irréprochable. Seul groupe français à avoir signé sur Sub Pop à l’époque glorieuse du label dans les années 90, Les Thugs resteraient à jamais le meilleur représentant d’un rock noisy énergique et mélodique. Mais les frères Eric et Pierre-Yves Sourice ont dû avoir quelques démangeaisons… Embarquant dans l’aventure LANE (Love And Noise Experiment) le fils de Pierre-Yves et deux frères échappés du groupe Daria, les deux anciens Thugs nous emmènent en terrain connu, reprenant le fil d’une histoire musicale qui n’était finalement qu’en pause. Il est question ici de famille, d’héritage et de transmission d’une forme d’éthique du rock.

 

07. Véronique Sanson – « Le temps est assassin » (Sarah)
Extrait de Véronique Sanson / Album blanc – 1985 – French touchée
Sanson sort d’un divorce avec Stephen Stills. Après 10 ans passés en Amérique, elle se bat pour la garde de son fils. A peine de retour, Sanson n’a pas encore livré l’album qu’on lui demande mais elle a deux titres sous le coude. Le temps est assassin est joué en 1983 à l’Olympia. Péniblement, elle prendra deux ans pour livrer dix titres sur un album soit éponyme, soit appelé album blanc. Sur ce titre, elle fait résonner son vibrato sur des phrases dures, qu’elle ne veut plus d’amour, parle de faiseurs de rêves, de mourir de tendresses déçues. Elle dit même qu’elle ne veut plus rien (c’est littéral)… Véronique Sanson, compositrice de haut niveau, fait partie des ces auteures françaises qui ont écrit pour elles-mêmes. On est à la limite de l’intimité mais dans un maniérisme jamais violent, jamais revendicateur. Pour certains, elle représente une vision de la femme artiste, à égale de l’homme, qui va se débrouiller, toute seule ou avec quelqu’un. La puissance de Sanson est dans sa voix comme dans son indépendance : elle rappelle qu’elle est bien trop forte et qu’elle veut pouvoir aimer. Pour celle qui nommait son premier album Amoureuse, le sentiment n’est jamais aveu de faiblesse, l’amertume fait partie du jeu, le pessimisme disparaît. Même quand le temps est assassin, Sanson a cette lueur de ne jamais en avoir assez.

 

08. Kevin Ayers – « Puis-je ? » (Thierry Chatain)
Extrait de Shooting at the Moon – 1970 – Pause galante
Toute la problématique du consentement et de la drague lourde a fait remonter en moi le souvenir de cette bluette qui pourrait être l’exemple même d’une chanson de drague légère et charmante, avec l’idée même de consentement explicite dès son titre. Kevin Ayers, cofondateur de Soft Machine, était beau gosse et bon vivant, un dilettante qui préférait la douceur de la vie dans les Baléares aux tournées marathon. Grand amateur de vin, il n’a pas fini ses jours par dans un petit village de l’Aude par hasard. Version en français de “May I?”, avec accordéon à la clé pour faire couleur locale, “Puis-je ?” pourrait presque, dans le contexte actuel, paraître dérangeante par certains côtés, puisque l’auteur demande à la fille de sourire, lui dit qu’il veut juste la regarder, la sentir. Mais ce serait anachronique pour un titre de 1970, oublier qu’Ayers demande l’autorisation à la fille avant de s’asseoir près d’elle et de lui parler, et que le monologue parlé qui occupe le milieu du morceau n’est pas à prendre trop au sérieux, se terminant par un rieur “Vive la banane !”, un fruit occupant une place majeure dans les doux délires d’Ayers. Et qui n’est pas sans rappeler celui, warholien, de la pochette du premier Velvet, influence sur la trame du morceau, avec son intro du même esprit que celles de “Femme Fatale” et “I’ll Be Your Mirror”…

 

09. L7 – « I Came Back To Bitch » (Isabelle Chelley)
Single – 2018 – rock musclé
Si l’on se fie à ce que racontait Donita Sparks sur la scène de la Cigale il y a quelques semaines, elle répondrait “I came back to bitch” (je suis revenue pour râler) quand on lui demande pourquoi elle et ses trois partenaires ont reformé le groupe. Franchement, on ne voit pas de meilleure raison à faire son come-back. Et si en prime, c’est avec une chanson aussi réussie que celle-là, il ne fallait pas se priver. A plus de 50 ans, les Californiennes n’ont rien perdu de leur énergie, de leur talent unique pour mêler muscle et sens de la mélodie, et ce brûlot de gros rock qui transpire, crache et râle se grave donc en trente secondes dans un coin de cerveau, comme les meilleures chansons pop…

 

10. Neko Case – « Oracle of The Maritimes » (Marc Mineur)
Extrait de Hell-On – 2018 – Rousse à voix
Finalement, il n’y a rien de pire que les grandes voix qui veulent se faire reconnaître comme telles. Ainsi, on préfère celles qui ne sortent le grand jeu qu’occasionnellement, quand le besoin s’en fait sentir. Au rayon de ces préférées donc, Anna Von Hausswolff dont on vous a parlé récemment mais aussi Basia Bulat ou Neko Case. Si la réputation de l’Américaine est bien plus grande Outre-Atlantique qu’ici, son dernier album semble à même d’inverser la tendance. Limitant ses incursions vers un country mainstream toujours déroutant pour nos oreilles, elle privilégie le format pop et propose sur son dernier albums deux moments de bravoure. « Curse of the I-5 Corridor » avec rien moins que Mark Lanegarn et cet « Oracle of The Maritime » qui distille une magnifique intensité sans avoir l’air d’y toucher.

 

11. Albin de la Simone – « Mort en plein air » (Thomas Messias)
Extrait de Un homme – 2013 – Profession de foi
C’est fou comme on peut parfois passer à côté des choses. Je n’avais pas écouté l’album Un homme au moment de sa sortie, probablement parce que seul le premier album d’Albin de la Simone (intitulé Albin de la Simone) trouvait réellement grâce à mes yeux. Par ricochet, la sortie du si beau L’un de nous en 2017 m’a fait replonger dans sa discographie afin de vérifier que je n’avais rien raté. Grand bien m’en a pris : Un homme est un album d’une sensibilité incroyable, bien loin des délires sans rime de son premier album solo. Un disque tourné tout entier vers la question qui me fascine le plus actuellement : comment dealer avec sa masculinité ? ADLS y livre un autoportrait d’autant plus saisissant qu’il est sans fard, ne cachant rien de ses médiocrités, de ses erreurs de parcours et de ses renoncements.

 

12. Jon Hopkins – « Emerald Rush » (Alexandre Mathis)
Extrait de Singularity – 2018 – Electro (2018)
Je ne suis pas hyper fan de Singularity, le dernier album de Jon Hopkins qui, dans ses pires moments, fait penser à du Moby sans lyrisme (c’est dire). Mais ça reste Jon Hopkins, à savoir l’un des piliers de l’électro contemporaine. « Emerald Rush » fait office de bombe aussi fiévreuse qu’onirique, comme le souligne le joli clip en animation réalisé pour l’occasion. Et cela faisait des mois que je n’avais pas écouté autant un morceau en boucle.

 

13. Rakim X Chagrin d’Amour (Dj Moar Supablend) (Arbobo)
Extrait de mix – 2016 – Mashup dans ton pushup
Le seul problème de ce “mashup” (mélange de 2 morceaux, j’explique pour mes parents si jamais ils surveillent mon activité internautique), c’est que je ne sais plus si je suis tombé dessus par hasard ou si quelqu’un me l’a fait connaître. Si c’est le cas c’est dommage d’avoir oublié qui, parce que ça mérite une soirée open bar dans l’échoppe de son choix. Et comme on va beaucoup balancer nos culs bien fat comme la basse, en arborant nos duckfaces avec une élégance comparable au flow de Rakim, on n’aura pas beaucoup le temps de boire.
En vrai, je suis au bord de craquer, mais comme le monde des vivants est  de ceux dont on ne démissionne qu’une fois et sans indemnités, et que j’ai prévu de prendre l’avion avec mes parents (s’ils décrochent de youtube, hein, c’est pas vous qui payez le forfait de l’iphone je vous rappelle!), je cherche actuellement le bouton pause et cette pépite qui te fait pomp-pomp-pomp sur les tempes en te faisant perdre tout contrôle de ton corps, c’est exactement le remède qu’il me faut.
“You got soul! Yeah yeah yeah!” Allez viens-là la déprime, si tu as tu cran, on va faire des trucs l’un contre l’autre que t’oseras même pas avouer à Belzébuth.