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À tous les garçons que j’ai aimés : une bulle d’air dans le teen-movie

Disponible sur le catalogue français de Netflix. Durée : 1h39

Par Alexandre Mathis, le 27-08-2018
Cinéma et Séries

Nos espoirs se portaient sur Okja, Cloverfield Paradox, The Meyerowitz Stories ou encore Annihilation mais jusqu’ici, toutes les sorties Netflix original en cinéma se révélaient au bas mot décevantes, au pire calamiteuses. En attendant les derniers Alfonso Cuaron (Roma), Martin Scorsese (The Irishman) ou le film inachevé d’Orson Welles (The Other Side of the Wind), c’est avec le long métrage À tous les garçons que j’ai aimés de Susan Johnson que revient le titre de premiers très beau film avec la patte Netflix.

Pourtant à priori, rien de fou à se mettre sous la dent : cette adaptation d’un roman pour adolescents de Jenny Han raconte comment les lettres d’amours secrètes de Lara Jean, lycéenne de seize ans, se retrouvent envoyées par erreur aux cinq garçons concernés. Le film ne déroule pas tellement ce fil conducteur propice aux multiples quiproquos. Il emprunte plutôt la voie classique du mensonge : d’un commun accord avec l’un des garçons, l’héroïne entame une fausse relation amoureuse avec lui. Elle pour se défaire des autres mecs, lui pour rendre jalouse son ex dans l’espoir qu’elle revienne à lui. Ce teen-movie, qui marche explicitement dans les pas de John Hughes (les personnages font référence à Sixteen Candles), avait tout pour devenir un petit produit fade à la mise en scène générique, mais il s’avère charmant, bien rythmé et captivant de bout en bout. Le tout se fait sous des atours chics dans la pure lignée des images en sucre glace de Wes Anderson ou de Sofia Coppola, ce que les détracteurs qualifieraient volontiers de futilité à la Instagram.

Un regard neuf

Si À tous les garçons que j’ai aimés prend en compte la double culture de son héroïne, il ne joue jamais avec pour des gags ou des références lourdes.

À tous les garçons que j’ai aimés attire surtout l’attention sur son traitement des personnages : Lara Jean est américano-coréenne. Une héroïne asiatique dans un film grand public, c’est rare aux États-Unis. Là où la représentation des personnes noires et des hispaniques ont largement évolué ces dernières décennies, celle des communautés asiatiques est encore très largement réduite aux acteurs de films d’actions (Jet Li ou Jackie Chan pour les plus connus) ou dans des rôles secondaires appuyant lourdement sur les origines des protagonistes. Si À tous les garçons que j’ai aimés prend en compte la double culture de son héroïne, il ne joue jamais avec pour des gags ou des références lourdes. Tout juste est-il question de smoothies coréens délicieux au détour de deux dialogues. Mieux, le film se détourne de son héritage du cinéma de John Hughes en pointant le racisme de Sixteen Candles à travers le personnage de Long Duk Dong.

Lara Jean est un personnage d’adolescente écrit comme n’importe quel autre : timide, maladroite, futée, qui apprend de ses erreurs. Cette banalité de l’écriture devient une force, permettant au film de développer avec légèreté de nombreuses thématiques : l’absence, la loyauté familiale, l’honnêteté et bien sûr la découverte du sentiment amoureux. La famille de Lara Jean est soudée par le trio qu’elle forme avec ses sœurs au point que chacune pourrait avoir son propre film.

En s’octroyant la diffusion mondiale de cette modeste comédie, Netflix l’intègre au sein d’une politique plus générale de représentativité. A travers des séries comme Sense8, Orange is the new black ou des films comme Je ne suis pas un homme facile, le géant américain devient une figure de proue des représentations inclusives des LGBT et des minorités ethniques. Si toutes les œuvres précitées sont très différentes, elles s’accordent dans une optique de laisser le champ libre aux différentes communautés sans jamais exclure personne. Netflix n’a pas le monopole parmi les studios américains, mais la multiplication de gestes en ce sens, jusque dans des films qu’on n’attendait pas, en font les leaders. Les sceptiques argueront que leur but est de toucher tous les publics, et de miser sur la multitude de niches en proposant des algorithmes sur mesures. Sauf qu’ici non, À tous les garçons que j’ai aimés n’a pas de but communautaire de plaire à une catégorie. Il vise un large public, certes jeune, au même titre que Hughes et Apatow à leurs heures de gloire. Si d’autres films de ce genre, sans sexisme, sans racisme, se multipliaient, on assisterait peut-être à un nouvel âge d’or de la comédie.