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Detective Dee : La légende des rois célestes de Tsui Hark

Par Marc Moquin, le 05-08-2018
Categories Cinéma et Séries

Quel paradoxe qu’à l’heure où les outils pour de nouvelles images prolifèrent, les cinéastes expérimentateurs à grande échelle se comptent sur les doigts d’une main. Porte-étendard du blockbuster d’auteur chinois, Tsui Hark fait le pari, avec Detective Dee : La légende des rois célestes, de faire connaître à son cinéma une nouvelle transition technologique et artistique. Ce qu’Hollywood a abandonné (le HFR, du moins jusqu’à Avatar 2) ou fait désormais sans conviction (la 3D), Hark l’infuse au plus profond de son œuvre, au moins depuis  Dragon Gate Inn (sa première grosse production en 3D après le méconnu et non-distribué Nu ren bu huai). Chaque nouveau long-métrage devient alors le prétexte idéal pour de nouvelles propositions, culminant dans le remarquable La Bataille de la montagne du tigre. Hélas, la faute à un marché d’exploitants inamovible, Detective Dee : La légende des rois célestes ne sera pas projeté en France en HFR. Pourtant, l’essence « tsuiharkienne » qui nous parvient conserve quelque chose d’exceptionnel, d’événementiel, quand bien même le film n’est pas parfait – voire même le moins accompli de la trilogie.

Ce qui est exultant, chez le personnage de Dee (toujours le sympathique Mark Chao) et son univers, est le jeu opéré autour de la mise en scène et de l’apparence, justement autour de ses enquêtes. Le cinéma de Tsui Hark, dont la mise en scène est apparence (quel meilleur exemple que Time and Tide ?) a plus que jamais un côté métaphysique dans Detective Dee. Ici, Hark s’intéresse notamment à une poignée de sorciers qui synthétisent, à certains égards, une vision de son cinéma : un dispositif théâtral (les magiciens en formation « sur scène ») transcendé par le relief, qui n’est non pas la profondeur du décor derrière eux, mais les projections faites sur les spectateurs (ou victimes) de sortilèges ou armes en tous genres (parfois réelles, parfois illusions). Habituellement, l’apparat d’un cinéma en relief plutôt vulgaire (projetant des objets virtuels sur les spectateurs) mais détourné par Tsui Hark justement pour sa facticité. Comme Dee, ou comme le spectateur d’un tour de magie, on cherche la faille, la distinction entre réel et irréel dans la mise en scène hypnotique du réalisateur.

L’illusion est hélas curieusement limitée sur certains points. Par exemple, l’action du film ne se déroule globalement que sur trois décors, et dans des environnements photographiques similaires ou tout du moins peu inventifs. Il faut certainement y voir, comme explication, le gouffre financier qu’a représenté la conception du film en HFR (davantage d’images de synthèse à rendre, donc). Ainsi, le film n’a pas l’originalité de certaines séquences du précédent opus (comme celles de nuit ou des affrontements maritimes) tout en ayant la capacité de capter son action avec des angles nouveaux et plus dynamiques (avantage du HFR, même si une fois de plus, on ne peut qu’imaginer son rendu sur certains plans complexes). L’intrigue, prétexte globalement un peu faiblard et cousu de fil blanc, fait se ressentir les deux heures quinze. Deux vitesses étonnantes pour un cinéma qui paradoxalement va à trois cent à l’heure.

En dépit de ses défauts, Hark honore toujours avec Detective Dee : La légende de des rois célestes, une notion accomplie de divertissement, menée tambour battant. Le film, profondément passionné et jouissif, demeure l’alternative de choix face à la paresse qui envahit Hollywood. Parions même que certaines images ne seront pas oubliées de sitôt, comme cette confrontation au milieu des statues géantes des rois célestes, déferlement proprement épique. A n’en pas douter, son dernier long-métrage est un événement estival à part entière, qui rafraîchit autant qu’il asphyxie par sa générosité étourdissante – et parfois too much, ne nous mentons pas. Mais qu’importe, car c’est ce qui a toujours construit l’histoire d’amour entre les cinéphiles, même les plus exigeants, et le magicien Tsui Hark, qui les gave de cinéma jusqu’à plus-soif.