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Forêt obscure de Nicole Krauss : le roman et son double

Traduit par Paule Guivarch. Paru le 16 août 2018 aux éditions de L'Olivier.

Par Guillaume Augias, le 16-08-2018
Littérature et BD
Cet article fait partie de la série 'Rentrée littéraire 2018' composée de 10 articles. Playlist Society fait sa rentrée littéraire 2018. Voir le sommaire de la série.

Un supplément de vie apporté à Franz Kafka — qui ne serait plus mort près de Vienne en 1924 mais quelque part en Israël, en 1956 — devient dans ce roman majeur le motif d’une profonde réflexion sur les liens unissant existence et littérature, religion et création, et sur l’origine même de l’épopée politique et intime que constitue Israël.

La romancière âgée d’une quarantaine d’années se met en scène sans concession, à un tournant de sa vie. Le succès de ses livres ne l’aide en rien dans son mariage et elle choisit de répondre à une sorte d’appel qui, de Brooklyn à la côte israélienne, l’attire inexorablement vers le lieu où elle fut conçue. Mais une fois arrivée sur place, ses intuitions sont contredites et ce n’est qu’en se laissant aller à une rencontre de plus en plus improbable qu’elle parviendra à créer de nouveau du matériau littéraire.

En parallèle, elle évoque le cheminement de Jules Epstein, un homme d’âge mûr soudain sur la brèche qui, au grand dam des siens, se déprend de ses nombreuses possessions et d’un paquet de certitudes pour découvrir le mystère de ses origines.

Le sentiment de se dédoubler emplit ainsi l’ouvrage de tout son vertige

Le point commun à ces récits entremêlés est le soleil ambigu Tel-Aviv, dont le talent de l’écrivain sait extraire toute l’âme en faisant de la ville la pierre de touche de son œuvre et de son destin, liant les deux à tout jamais.

Entre les immensités de la mer et du désert, le végétal trouve dans ce livre une place centrale. Que ce soit le jardin que Kafka cultive jusque dans les accès de fièvre de la romancière ou la forêt surgie de nulle part que finance son héros en mémoire de ses parents et dont les arbres le poursuivent en rêve, les branches sont omniprésentes. Elles reflètent à la fois la complexité du noyau familal et la solitude de l’acte créatif.

Depuis la déconvenue d’un dîner de gala pour la paix au proche-Orient en présence de Mahmoud Abbas jusqu’à la tentative avortée de faire du Hilton de Tel-Aviv le centre d’un roman et la sortie d’une impasse existentielle, ce livre scintillant d’érudition plonge le lecteur dans un véritable labyrinthe de la pensée. Le sentiment de se dédoubler emplit ainsi l’ouvrage de tout son vertige. Car sont interrogés à travers ce prisme envoûtant la crédibilité de la notion de personnage, le mysticisme à l’œuvre en nous et la question pleine et entière de notre singularité.