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L’été se termine avec un événement rare dans le monde du cinéma : pas moins de trois films d’animation réalisés par des femmes sont sortis dans les salles françaises. Par ordre de sortie, il y eut d’abord Parvana de Nora Twomey, Happiness Road de Hsin-Yin Sung et le tout récent A Silent Voice de Naoko Yamada. Ces trois films parlent d’un bout d’Asie (Afghanistan, Taïwan, Japon), avec des sujets forts et difficiles à traiter, en somme des films ambitieux souvent réussis.

Comme dans les autres secteurs, la place des femmes progresse, mais encore trop lentement

Mais le simple fait que des films d’animations fait par des femmes trouvent leur chemin en salle mérite notre attention. Jusque là, le milieu a rarement donné sa chance aux réalisatrices pour des long-métrages. On se souvient de Persepolis de Marjane Satrapi il y a maintenant dix ans, de Jennifer Yuh Nelson à la tête des Kung Fu Panda 2 et 3, de Vicky Jenson pour le premier Shrek et de Gang de Requins et surtout de Jennifer Lee qui a donné vie au phénomène La Reine des neiges. On ne comptera pas Brenda Chapman, évincée de Rebelle en cours de production. Reste que tous ces films ont un ou deux coréalisateurs hommes. Si le partage de la mise en scène est une chose classique en animation, aucun d’entre eux ne met un duo de femme aux commandes par exemple. Mis bout à bout, cet état de lieux trompeur peut laisser penser que les femmes ont voix au chapitre. Or, il s’agit d’une liste quasi exhaustive sur quinze ans de production cinématographique. Comme dans les autres secteurs, la place des femmes progresse, mais encore trop lentement. La relève est là, ayant fait ses preuves en court-métrages, il ne reste plus qu’aux producteurs qu’à leur donner le feu vert pour laisser leur imaginaire toucher le plus grand nombre.

Trois femmes puissantes

Les trois films sortis cette année ont tous en commun de raconter les parcours d’héroïnes faisant preuve d’un remarquable courage. Dans A Silent Voice, Nishimiya, une enfant sourde tente de communiquer au mieux avec ses camarades de classe. Harcelée par ces derniers et notamment par Ishida, elle continue pourtant de chercher leur amitié, sans jamais baisser les bras. L’héroïne de Happiness Road, Tchi, revient sur sa terre natale de Taïwan à la mort de sa grand-mère. Sa vie aux États-Unis ne la comble plus et elle renoue avec ses racines pour trouver le courage de se donner un nouveau départ : elle songe à divorcer de son mari américain et à élever son enfant seule, entourée de ses parents.

Mais dans ce pays où les femmes n’ont aucun droit, l’absence d’un homme à la maison est synonyme de mort

Parvana a de loin la destinée la plus complexe. Cette petite fille d’Afghanistan voit son père arrêté injustement. En dépit de toutes les interdictions mises en place par les talibans, Parvana se bat pour libérer son père. Mais dans ce pays où les femmes n’ont aucun droit, l’absence d’un homme à la maison est synonyme de mort. En effet, elles ne peuvent ni acheter de la nourriture, ni travailler ni simplement sortir de chez elles. La mère de la jeune fille se fera même battre pour avoir osé sortir sans un homme. Parvana se déguise alors en garçon et fait vivre sa famille.

Ces destinées ô combien différentes ont en commun la lutte contre un ordre établi, où être une femme est un handicap à un moment donné. Toutes ces femmes s’émancipent d’un patriarcat terriblement destructeur en renouant avec leur famille et leurs amis. Parvana sait que ses proches ayant survécus l’aideront dans sa lutte : elle a résisté aux talibans et a empêché un mariage forcé. Tchi aussi peut compter sur ses parents, incarnant une femme moderne et libérée. Quant à Nishimiya, elle a fait prendre conscience à un jeune homme de tout le mal qu’il lui a fait, et a indirectement permis à un groupe d’amis très soudé de se forger.

État des lieux d’une société

Parvana symbolise la femme afghane de 2001, celle d’un pays tourmenté à l’orée d’un nouveau siècle et qui cristallise depuis les regards impuissants des occidentaux. En utilisant la forme du conte, avec un côté très Michel Ocelot (Kirikou, Azur et Asmar), Nora Twomey rend supportable un film extrêmement dur et sombre. La guerre arrive, les sévices se multiplient, il y a des morts : il règne comme une odeur de fin du monde. Mais Parvana, comme sa mère et sa sœur, ne capitulent pas.

Happiness Road profite aussi du parcours de son héroïne pour raconter un pan de l’Histoire de Taïwan : ses gouvernements à renverser, l’éveil d’une jeunesse qui veut s’émanciper et, au détour d’une scène aux États-Unis, de rappeler que la main-d’œuvre bon marché se trouve sur l’île pour inonder l’Occident de ses petits plaisirs consuméristes. Le film est absolument remarquable dans sa capacité à tisser l’intime avec le politique.

À sa manière, A Silent Voice raconte aussi un bout d’Histoire de nos sociétés. En traitant du harcèlement à l’école et de la difficulté de se faire des amis, le film prend à bras le corps un sujet tabou, pourtant très important au Japon comme chez nous. Il y a aussi un geste politique fort à avoir fait doubler le personnage de Nishimiya par une vraie sourde, et de travailler la mise en scène pour arriver à faire ressentir par moments ce qu’elle ressent avec ce handicap.

Allers et retours

Nous avons ici affaire à des œuvres mélancoliques, et à la fois totalement tournées vers l’avenir. Avec comme figures de proue Nishimiya, Tchi et Parvana, toutes aptes à porter un message positif d’émancipation

Chacun des films utilise le rêve et le flashback comme échappatoire. A Silent Voice et Happiness Road multiplient les sauts dans le passé afin de reconstituer le parcours de ses personnages. La chronique taïwanaise parvient par ce biais à retisser un lien familial qui n’a rien à envier au grand Omoïde Poro Poro (ou Souvenirs Goutte à goutte) d’Isao Takahata. Dans Parvana, les décrochages narratifs se font à travers un conte que la jeune fille raconte petit à petit à son frère. Un peu à la manière de Sita chante le blues de Nina Paley – un autre film d’animation réalisé par une femme et sorti en 2009 où la cinéaste mêle autofiction et légende indienne – Parvana change d’esthétique selon qu’il s’agisse du réel ou de la fable qu’elle invente. Évidemment, le fantasme nourrit le réel, car il donne du courage aux protagonistes. Au même titre que Nina se reconnaissait dans la déesse Sita dans son film, Parvana s’inspire de l’histoire du garçon qui voulait sauver son village d’une malédiction pour mener à bien la mission de sauver son père. Nous avons ici affaire à des œuvres mélancoliques, et à la fois totalement tournées vers l’avenir. Avec comme figure de proue Nishimiya, Tchi et Parvana, toutes aptes à porter un message positif d’émancipation.

Remerciements à toutes celles et ceux qui m’ont aidé sur twitter et notamment @ChrisBeney, @vincythomas et @zglub215