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01. Alain Bashung – « Immortels » (Alexandre Mathis)
Extrait de En amont – 2018 – Hommage
« Immortels » est sans doute la plus belle chanson que j’entendrai cette année. Nous avions eu la version de Dominique A, voici que sort de l’outre-tombe celle d’Alain Bashung. Sorte de chant du cygne, qu’on imagine en noir et blanc, submergée par mille vagues et vents marins, la chanson prend aux tripes à chaque accord, à chaque mot. Alain Bashung me manque depuis dix ans.

 

02. Justin Hurwitz – « The Landing » (Erwan)
Extrait de la bande originale de First Man – 2018 – Dark Side of the Moon
Je ne flashe pas souvent sur les bandes-originales de films, mais celle de First Man m’a terrassé. Justin Hurwitz, compositeur de tous les films de Damien Chazelle, signe une partition bouleversante, qui fait intensément passer par la musique les deux émotions essentielles de First Man et de son héros Neil Armstrong : sa tristesse insondable et sa douleur sourde. Le film est un conte tragique, la musique qui l’accompagne est un requiem hanté et tourmenté, y compris dans les moments qui devraient être les plus glorieux tel l’alunissage d’Apollo 11, sujet du superbe morceau « The Landing », qui en fait un moment d’angoisse et d’épreuve poussées à leur extrême.

 

03. Bobby Gentry – « Ode To Billie Joe » (Isabelle Chelley)
Extrait de Ode To Billie Joe – 1967 – suicide song
Cette ballade-là est un tour de force. Dépouillée, reposant sur une guitare et une voix et aucun artifice, elle réussit à me donner le frisson à chaque écoute. En quelques mots, Bobby Gentry plante le décor : le sud des États-Unis, une famille travaillant dans les champs, une journée chaude et poussiéreuse. Et la mort de Billie Joe évoquée entre deux banalités échangées autour de la table, qui pose plus de questions qu’elle ne bouleverse. Qu’est-ce que Billie Joe et la narratrice ont jeté dans la rivière avant qu’il ne s’y suicide ? On ne le sait pas, on ne peut qu’imaginer, comme on se représente la vie de cette famille sortie d’un bouquin de Faulkner…

 

04. Brigitte Fontaine – « Brigitte » (Arbobo)
Extrait de Brigitte Fontaine – 1972 – chanson ultime
Ce portrait ouvre l’un des plus beaux disques de Brigitte Fontaine. On y est perdu, tout en étant caressé par sa douceur. Brigitte se parle à elle-même, à travers une brume d’accords qui font penser à un rêve ou un trip confortable. Elle s’y dépeint avec une pudeur que sa réputation actuelle de madame foldingue a trop souvent fait oublier. « Toujours au fond des cafés, tu ne veux pas qu’on te voie ». La simplicité de ce morceau, la nostalgie qu’elle inspire, me donnent à chaque fois les larmes aux yeux.

 

05. Columbine – « En vain » (Guillaume Augias)
Extrait d’Adieu bientôt – 2018 – Leur ville
Je pourrais être honteux d’avoir découvert ce collectif de rap breton via l’émission radio nocturne d’un Édouard Baer en phase avancée de papy-boom, mais à la honte j’ai décidé de préférer le rictus musical qu’arborent les mélodies de Columbine quand elles sont bien senties et ont la bonhomie groovy d’un Hamza français. « Noyé sous les WeTransfer / J’ai fini le dernier verre » entonnent ces jeunes mâles se voulant sales. Leur pochette évoque — et si c’est involontaire c’est encore mieux — le superbe film De bruit et de fureur, dans lequel meurt un serin nommé Superman. Le titre de l’album, Adieu bientôt, est une promesse en creux qu’un zeugma vient soudain souligner : « On n’arrête ni le progrès ni le système ».

 

06. Mick Harvey & Christopher Richard Barker – « Softly Spoken Bill » (Thierry Chatain)
Extrait de The Fall and Rise of Edgar Bourchier and the Horrors of War – 2018 – complainte de guerre
D’accord, ça fait furieusement penser à quelqu’un. Mais bon, Mick Harvey n’a pas été le compagnon de route – et bras droit, et couteau suisse – de Nick Cave pendant 35 ans, de leur groupe pré-Boys Next Door au premier quart de siècle des Bad Seeds, sans que cela laisse des traces. Surtout, le style de ballade sépulcrale-quoique-vaguement-traditionnelle qu’on associe volontiers au barde de Brighton est celui qui convient pour narrer la triste histoire de Bill à la voix douce, Tommy parti baïonnette au canon à l’assaut d’une colline et de son nid de mitrailleuses. Et cet extrait d’une évocation de la Grande Guerre qu’ont concocté pour le centième anniversaire de l’armistice Harvey et l’auteur Christopher Richard Barker donne envie d’en entendre davantage.

 

07. JK Flesh – « Super Human » (Benjamin Fogel)
Extrait de New Horizon – 2018 – Techno
Les années passent et Justin Broadrick, fondateur entre autre de Godflesh et Jesu, reste inépuisable. Dans New Horizon, le troisième album sous le nom de JK Flesh, il continue d’explorer les limites des musiques électroniques au travers d’une drum and bass déstructurée, de passages dub tellement distordus qu’ils ressemblent à des explosions sonores, le tout parcouru par des drones puissants qui absordent l’auditeur. Si sur le papier, la musique de JK Flesh peut paraitre expérimentale, il n’en est rien dans la réalité. Là, elle est fun et jouissive, donnant simultanément envie de headbanger et de danser. Il en résulte un disque qui s’écoute en toute occasion, et qui, malgré des écoutes répétées, continue de dévoiler de nouveaux glitch et de nouvelles mutations.

 

08. Villagers – « Again » (Marc Mineur)
Extrait de The Art of Pretending to Swim – 2018 – Chamber Pop
C’était un soir, à Belfast. On était là pour voir Owen Pallett après une trop longue journée de boulot. Avant le maître canadien, un gars du cru ou presque ouvrait seul à la guitare acoustique. Comme c’était bien, on retient qu’il s’appelle Conor O’Brien et se produit sous le nom de Villagers. Quand son premier album sort quelques semaines plus tard, on n’est donc pas surpris. On ne le sera jamais. Comme on ne sera jamais déçus non plus. Après quelques tentations acoustiques ou électroniques, il a décidé de ne pas encore se fixer. Et c’est très bien comme ça. On ne juge pas un album à l’aune de ses morceaux les plus faibles mais de ses meilleurs, c’est connu. Et pour le coup, le morceau d’introduction de son dernier album en fait un fait majeur. C’est dense et délicat à la fois, magique et addictif. On a bien fait de sortir, ce soir-là, à Belfast.

 

09. Maximilian Hecker – « Polyester » (Thomas Messias)
Extrait de Infinite love songs – 2001 – Coton
À quoi ça tient, la présence ou non d’une chanson dans votre existence. Il y a par exemple ce principe d’empathie au nom duquel vous ne pouvez pas décemment écouter en présence de la personne aimée des morceaux qu’affectionnait tout particulièrement l’être qui partageait sa vie auparavant. C’est ainsi que j’ai délaissé Maximilian Hecker, que j’aimais pourtant de tout mon cœur. Le souvenir de « Polyester » m’est revenu subitement, et j’ai décidé qu’il y avait prescription, que les cicatrices avaient eu mille fois le temps de se refermer, et que je pouvais à présent me réapproprier ce morceau qui n’appartient finalement à personne.

 

10. Regularfantasy – « Chill for a Minute » (Nathan)
Extrait de Sunsets & Sublets – 2018 – tube mélancolique
Après presque 15 ans à découvrir de la nouvelle musique grâce à internet, j’ai maintenant le luxe d’avoir un vrai disquaire. Un passionné, qui te fait un café quand tu entres, te demandes comment tu vas, avec qui tu bois des coups en écoutant des nouveautés. Il te garde le disque que tu vas adorer – il le sait avant toi – et tu l’achètes sans l’écouter. C’est chouette. Et bien voici donc un des meilleurs albums que j’ai entendu cette année, une house sentimentale, dansante, mélancolique. Un truc que je n’aurais jamais écouté sans lui, même si je passe ma vie à chercher et écouter des nouveaux trucs. Donc devenez pote avec votre disquaire.