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Le grain de la voix et un grain dans la voie. Je me suis souvent demandé si le flow des rappeurs (ou encore la tessiture des solistes) pouvait changer des vies par sa capacité à raconter des histoires. On s’en raconte en l’écoutant. Pour moi c’est sans doute Future qu’il faudrait citer. L’effet de son flow est tel que je peine à prêter attention aux prods sur lesquelles il intervient. L’effet rocailleux de sa voix a cette vertu d’hypnose qui fait de moi un être alternatif, à la personnalité aléatoire, indestructible et futile à la fois.

Il en est sans doute de même pour tout le monde, chacun sa voix/voie, mais à l’échelle mondiale cela donne une tonalité collective, une seule bouche qui s’ouvre pour dire l’air du temps. Concernant la fin des années 2010, qui pourra nier que ce sera le cas de XXXTentacion ? Jahseh Dwayne Ricardo Onfroy, né en Floride à la fin du siècle dernier et tué par balles 20 ans plus tard dans le même état du sud, aura connu un succès fulgurant pendant deux ans parallèlement à des condamnations judiciaires pour violences conjugales et attaques à main armée, parallèlement aussi à une fascination pour la mort que l’on peut qualifier de productive — cependant que la naissance de son fils est annoncée pour ces jours-ci.

Sera-t-il le son d’une génération, ce flow plaintif et revendicatif à la fois ? Ou bien se démodera-t-il comme une police de caractère pour redevenir à la mode tel un calque, comme cet effet visuel dit 3D que l’on voit partout, des comptes Twitter au logo de Tik Tok ? Toujours est-il qu’a eu lieu il y a deux mois la sortie de Skins, œuvre posthume qui a tout pour faire de XXXTentacion — X, pour la postérité — un nouvel avatar de 2Pac (emprisonné en son temps pour viol, rappelons-le).

Sera-t-il le son d’une génération, ce flow plaintif et revendicatif à la fois ?

Par définition, on ne sait jamais vraiment à quel point un album posthume aurait été différent s’il avait été anthume. Cet opus ne déroge pas à la règle et son caractère foutraque étant à l’image du reste de la production de X, les indices en effet sont rares. Disons qu’il donne très vite l’impression d’être le brouillon d’une carrière qui n’a jamais eu lieu. En témoigne cet unique accord de piano qui accompagne tout le titre “Train Food”, comme s’il n’était que la perpétuelle introduction de lui-même.

Il y a une contradiction au cœur de l’intention portée par X : propulsé dans la gloire en 2016 avec un titre énervé (“Look At Me!”), on sent pourtant que ce sont les complaintes dites emo qui le font davantage vibrer ; force est de constater avec “Jocelyn Flores” ou “Moonlight”, ce sont bien des ballades qui constituent ses plus beaux morceaux. Cette contradiction, incarnation du chiasme présent physiquement dans son nom de scène – X —, il la pousse au-delà de la mort. Là où Drake (que d’aucuns ont pu accuser de copier X) convoque la voix du regretté Michael Jackson dans Scorpion, le regretté X convoque pour sa part celle de Kanye West dans Skins, sur le titre “One Minute”.

Tantôt folk, tantôt métal, cet album posthume a peut-être pour unique but de prouver que XXXTentacion n’était pas simplement un rappeur. Dans le titre final “What Are You Afraid Of?”, il semble nous sussurer une berceuse depuis les vapeurs ouatées du nirvana. En 2019, faut-il passer par là pour demander l’autorisation de succéder à 2Pac dans l’imaginaire collectif ?