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01. Jessica Pratt – « Fare Thee Well » (Benjamin Fogel)
Extrait de Quiet Signs – 2019 – Folk
Ma fille Judith est née le 6 février 2019. Ça n’aurait probablement eu aucun impact, mais je n’ai pas eu à cœur d’écouter en sa présence du death metal, de l’electro déconstructiviste ou encore du hardore (quoi que l’album d’Ithaca a l’air très bien). Du coup, ces premiers jours dans notre appartement auront été bercés au son de la musique de chambre et du folk, et en particulier des chansons de Jessica Pratt, dont le nouvel album Quiet Signs est une merveille de douceur et de rêveries, le tout avec des mélodies et des ambiances bien plus complexes qu’elles n’en n’ont l’air.  Être une personne heureuse et complexe, c’est tout ce que je souhaite à ma fille.

02. Toro Y Moi – « Ordinary Pleasure » (Christophe Gauthier)
Extrait de Outer Peace – 2019 – Alt-funk
Le cerveau de Chaz Bear, a.k.a. Toro Y Moi, est probablement à l’image de son dernier album : désordonné. Ici une basse funky babillante, là un namecheck de James Murphy, dans un coin des voix à la Migos, par endroits des synthés qu’on jurerait repiqués sur une démo de Daft Punk, là encore un featuring de la géniale Abra… Tout ça en trente minutes et des poussières. En écoute depuis la fin de l’année dernière, le single « Ordinary Pleasure » se la joue dansant et ensoleillé, musicalement insouciant, mais avec des paroles tournant autour de la lassitude et de l’ennui dans le couple. C’est probablement ce que Toro Y Moi fait de mieux.

03. Sharon Van Etten – « Memorial Day » (Thierry Chatain)
Extrait de Remind Me Tomorrow – 2019 – Ballade amniotique
Entre ce dernier album et le précédent, Sharon Van Etten a réinventé sa vie. Changé de partenaire, repris des études, fait un bébé, joué la comédie, etc. Comment s’étonner si sa musique aussi, qui ne cesse de se transformer et de surprendre, a carrément muté ? La New-Yorkaise n’a jamais sonné aussi contemporaine en choisissant comme sage-homme, enfin producteur, John Congleton (Swans, St. Vincent), et des aide-soignants comme Jamie Stewart (leader de Xiu Xiu).« Memorial Day », tout en sons étranges et murmures venus d’on ne sait où, est un des titres où elle va le plus loin dans la recherche d’une atmosphère comme suspendue. C’est aussi une chanson pop envoûtante, comme l’ensemble de Remind Me Tomorrow, devenu pour moi comme un chant de sirène dont je ne peux plus m’arracher depuis sa sortie.

04. Jungstötter – « Wound Wrapped In Song » (Marc Mineur)
Extrait de Love Is – 2019 – Album de l’année
On ne glosera pas ici sur ce qui fait un bon album mais une chose est certaine, il faut un style et de grands morceaux pour l’incarner et il y a les deux sur le premier album du jeune Allemand Fabian Altstötter. Le style lui-même n’est pas neuf, ravivant les plaies déjà ouvertes par Nick Cave ou Patrick Wolf mais il défend le genre pourtant constellé de perles avec un beau brio. Des morceaux marquants, il n’y a presque que ça ici mais il fallait bien en isoler un. Il existe des versions de ce Wound Wrapped In Song avec Soap&Skin dont il assurera les premières parties mais celle de l’album se suffit à elle-même, émouvante malgré la manière, soufflante à la première comme à la vingtième écoute. Aurais-je déjà mon album de l’année? Je ne suis pas loin de le penser.

05. Keren Ann – « Bleue » (Thomas Messias)
Extrait de Bleue – 2019 – Retour
Mi-mars, Keren Ann est de retour, avec un album en français, délicat et précieux, qui gagne en profondeur à mesure qu’il se déploie. Je suis heureux de pourvoir la réentendre dans la langue maternelle, elle que j’avais un peu délaissée depuis La biographie de Luka Philipsen et La Disparition. Que voulez-vous : j’ai toujours eu un attachement tout particulier à la langue française, sans doute parce que je ne suis pas assez brillant pour les langues étrangères. L’articulation si troublante de Keren Ann (aucun “accent”, juste une façon de ciseler les mots) colle parfaitement bien à son écriture en français.

06. Rihanna, Kanye West et Paul McCartney –
« FourFiveSeconds » (Sarah Arnaud)

Extrait du single éponyme – 2015 – Complainte résiliente 
Une complainte intimiste qui commence par le râle fatigué de Rihanna clamant qu’elle en a eu assez. FourFiveSeconds sort en Janvier 2015 : c’est une chanson courte, avec Kanye West en back-up singer et la routine simple de la guitare de Paul McCartney. Une production efficace, propre. Variant sur deux octaves, les deux voix portent la douleur et la lassitude d’un narrateur qui revient sur les torts qu’on lui inflige. Parlant à un interlocuteur invisible, indigne, le morceau est un mélange de simplicité et de rigueur. Dans un but d’efficacité, Rihanna entonne que sa gentillesse est bien trop souvent prise pour de la fragilité. Révélant que “l’autre” se demande bien comment la torturer, elle affirme juste par son ton qu’il s’agit d’une quête puérile et triste. Parce que c’est elle qui le chante, et parce qu’elle véhicule une image de femme puissante, se déroule devant nous la question de l’abus. À force de croire en la bonté, d’avoir foi dans le genre humain, apparemment, on devient trop vite une victime. FourFiveSeconds c’est le temps qu’il reste pour dire à l’autre qu’on ne se fait plus avoir, qu’on a trop donné. C’est le temps de dire que notre générosité et notre abnégation ont des limites. Parce que si même Rihanna vous dit qu’elle veut bien être sympa mais pas être une bonne poire, c’est se rappeler que la fragilité est une qualité et non pas un motif ou une excuse pour l’autre de vous tourmenter. Time’s up.

07. Ariana Grande – « Imagine » (Guillaume Augias)
Extrait de thank u, next – 2019 – Ponytail Power
Prenez tout d’abord un mot qui a fini pour le meilleur et le pire par se confondre avec la figure de John Lennon.
Prenez ensuite une prod actuelle dont l’évidente fioriture est, paradoxalement, une forme d’épure.
Prenez enfin la force de caractère d’une Ariana Grande face au terrorisme qui s’invite chez elle un soir de concert ou encore face à la meute de ceux qui voudraient qu’elle expie le suicide de son ancien compagnon, Mac Miller.
Mélangez, ajoutez sur la fin un gimmick vocal à la Mariah Carey — que d’aucuns trouveront cruel, mais, comme disait le maître Coetzee, « si l’on doit interdire aux jeunes de s’attaquer aux plus vieux, alors ils n’ont plus qu’à rester assis en silence pour toujours ».
Servez frais entre deux oreilles averties.

08. Xiu Xiu – « Normal Love » (Nathan)
Extrait de Girl With Basket of Fruit – 2019 – Complainte nihiliste
Xiu Xiu exprime la dégueulasserie du monde qui nous entoure sans artifice. Même si cette chanson, qui conclut ce nouvel album, avec la voix terrifiante d’Eugene Robinson, semble belle, elle est dépourvue de tout espoir. Girl With Basket of Fruit est violent, sale, dérangeant et volontairement pas agréable à écouter. Mais c’est peut-être ce qu’on mérite après tout.

09. Nirvana – « Polly » (Isabelle Chelley)
Extrait de MTV Unplugged in New York – 1994 – Frisson acoustique
Le 20 février, Kurt Cobain aurait eu 52 ans… En sept ans d’existence, Nirvana aura laissé son lot de classiques absolus, de reprises supérieures aux originaux et de moments mémorables, comme ce concert pour l’émission Unplugged de MTV (à l’époque où elle préférait la musique à la télé-réalité. A un autre siècle, donc). IL n’y a rien à jeter sur ce live mais j’ai toujours eu un faible pour « Polly », parce que le malaise fait partie des sentiments que j’aime éprouver en voyant ou écoutant une œuvre. La chanson raconte la séquestration d’une jeune fille par son violeur qui fait tout pour la déshumaniser… En trois minutes, Cobain dépeint l’horreur, se glissant dans la peau du criminel avec un détachement qui fait dresser les poils, parfait dans le rôle du salaud, lui le féministe, le petit mec fragile que tout le monde traitait de pédé dans son patelin de gros beaufs bûcherons, le sale gosse qui narguait les homophobes en roulant des pelles aux autres membres de Nirvana. Kurt Cobain aurait eu 52 ans le 20 février. Il (me) manque atrocement.

10. Harry Nilsson – « Gotta Get Up » (Erwan)
Extrait de Nilsson Schmilsson – 1971 – Renaissance entêtante
Cette ritournelle au piano vieille de presque cinquante ans est la plus belle trouvaille de la bande-son de Russian Doll, qui en regorge. Elle a tout pour rester accrochée dans la tête, exactement comme elle reste attachée à l’héroïne de la série (excellente, d’ailleurs) dont elle accompagne inlassablement les multiples morts et renaissances.