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Avec une quinzaine de romans publiés par la grande maison Gallimard, Marie Nimier est depuis longtemps dans ce qu’on peut appeler le paysage littéraire. Elle avait donc eu l’occasion de se faire un nom avant de préciser davantage son prénom, ce qui fut le propos de La Reine du silence en 2004. Elle y détaillait alors son étrange statut de « fille de » puisque son père, le Hussard Roger Nimier, mort dans un accident de la route à bord d’une puissante voiture de sport qu’il conduisait à tombeau ouvert, ne l’aura connue que cinq ans. Ils se seront si peu parlé qu’il l’aura gratifié dans une carte postale de ce surnom de reine du silence. Dans Les Confidences, on retrouve une allusion à cette marque inaugurale : « Est-ce trop demander ? Un secret, partager un secret avec son papa, pour en finir avec le silence. »

Ce nouvel ouvrage de Marie Nimier est un livre à dispositif, mais il évite pourtant tous les écueils des romans un peu trop tentés par l’installation littéraire, comme on peut parler d’installation dans le domaine artistique. Pendant plusieurs semaines, le projet aura été de recueillir de manière confidentielle des témoignages de tout type. Affichettes disposées dans les endroits stratégiques d’une ville dont on ne connaîtra pas le nom, local spartiate prêté par la mairie de la(non)dite ville, bandeau blanc cachant les yeux de la femme de lettres avant l’entrée de chaque participant à l’expérience, site internet pour les personnes désirant contribuer à distance, tout est prévu. Tout est clair. Normalement. Car une personne parviendra à voir ses yeux et partira en laissant à la romancière une somme d’argent et un cahier à spirale plein d’un témoignage douloureux, espérant qu’elle soulagera ses remords. À la fin de l’aventure, d’autres objets repartiront avec elle. Des dons : un recourbe-cils ayant appartenu à Claude François et un livre offert à son élève par un professeur de théâtre indélicat.

Cet ouvrage est un livre à dispositif, mais il évite pourtant tous les écueils des romans un peu trop tentés par l’installation littéraire

Dès le début, Marie Nimier décide de tout retranscrire de mémoire. Pas de notes à la volée (qui auraient de toute façon été difficiles à déchiffrer) ni d’enregistrement. En cela on la retrouve fidèle aux propos de son entourage qu’elle rapportait dans un précédent roman : « Où va-t-elle chercher tout ça ? ».  Car si elle se fait la porte-voix d’anonymes, s’effaçant derrière leurs vies, elle le fait avec sa patte et avec la personnalité de sa plume. Et cela ne va d’ailleurs pas sans heurts, notamment vers la fin du livre, quand fleure le ras-le-bol : « Ce torrent de réalité me donne la migraine. » ; « Faut-il vraiment que j’avale toutes ces choses qu’on me raconte ? Et non seulement que je les avale, mais que je les rumine pendant la nuit ? ».  C’est pourquoi on pense bien davantage au Régis Jauffret des Microfictions qu’à la Christine Angot des Autres. Certaines confidences comme Le Compas ou La Moustache recèlent en effet une dose de cruauté et un tour de main tout à fait digne d’un des deux fameux volumes de Jauffret, respectivement parus en 2007 et 2018.

D’autres fois encore, c’est au sublime et funeste Maupassant de La Parure que l’on pense comme dans La Chaînette, récit clinique d’un abus de position dominante dans le jeu social. Ou bien au trivial et primesautier Apollinaire les jours où il se faisait le chantre du pet : « J’exprime des gaz comme d’autres expriment des idées ». Mais en définitive, c’est Marie Nimier elle-même qui creuse un sillon littéraire cru et singulier. Ainsi quand elle restitue une poétique de l’étrange : « C’était le premier homme de ma vie, je l’ai jeté par la fenêtre un samedi. ». Ou enfin quand elle met au jour le texte reçu en ligne d’une psychanalyste ayant par incidence appris des choses sur la vie amoureuse de la romancière-aux-yeux-bandés et désirant partager cela car le secret est moins médical qu’amoureux. Avec Les Confidences, nous comprenons mieux comment, quoi qu’on fasse, le secret enchâsse nos vies.