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Cora dans la spirale de Vincent Message : du haut des tours

Paru le 14 août 2019 aux éditions du Seuil.

Par Guillaume Augias, le 14-08-2019
Littérature et BD
Cet article fait partie de la série 'Rentrée littéraire 2019' composée de 9 articles. Playlist Society fait sa rentrée littéraire 2019. Voir le sommaire de la série.

« Son trench-coat taupe n’avait rien de commun avec l’uniforme des employés de la RATP, et pourtant, c’était bizarre je vous assure, elle a descendu les marches en tête de voie avec tellement de discrétion et de naturel que personne ne s’est rendu compte qu’il se passait quelque chose d’anormal. » Cora Salme, la petite trentaine vive et volontaire, lit ce commentaire sur Internet au soir de sa reprise du travail après un congé maternité. Son trajet du matin a été retardé en raison d’un accident grave de voyageur, euphémisme consacré en cas de suicide d’un usager, et on pense soudain à la première scène de long-métrage filmée par Alejandro Amenábar dans Tesis, où le personnage d’Angela ne peut s’empêcher de regarder vers les voies du métro madrilène où un épisode équivalent vient de se produire.

Cela s’explique sans doute par la croisée des chemins à laquelle se trouve Cora au début du roman. Après avoir caressé l’espoir de devenir photographe, elle rencontre à Berlin le futur père de sa fille. Fruit de leur passion, Manon est aussi le facteur de rationalité, celle pour le bien de qui un avenir d’intermittence et d’incertitude sera délaissé au profit du monde de l’entreprise. Cette grande entreprise, ce sera Borélia, groupe fictif d’assurances dans lequel on reconnaît bien un fleuron français typique et où Cora amorce un une trajectoire prometteuse dans le domaine du marketing. Qui pourrait croire qu’une spirale du drame s’installe dans ce tableau ? 

Plus tard, quand s’abattra sur Cora ladite spirale, un havre de paix s’ouvrira pour elle en Normandie. Pareille au calme dans l’œil du cyclone, cette parenthèse se déroulera à Fécamp, la ville de Maupassant, à jamais marquée par la prose tenace de l’écrivain, son maniement de la cruauté banale. Ainsi dans la nouvelle La Parure, on se souvient qu’une femme passe sa vie à rembourser une dette imaginaire. Perdre sa vie à la gagner. Vivre dans la fascination du néant. Ces deux mouvements archaïques sont autant d’arcs narratifs que tend Vincent Message, autant de tensions collectives qu’il relie au destin de personnages ballotés entre souci d’émancipation et marques de fatalité.

Roman de la crise, des crises que nous traversons et des traces qu’elles laissent en nous

La crise de 2008, dite des subprimes, est un événement macro-économique dont ce roman s’intéresse davantage aux conséquences personnelles, sortes d’intrigues micro-économiques, qu’au schéma global. Mais s’il place son propos au sein d’une entreprise d’assurances, ce n’est pas pour rien. Ayant modélisé la vie moderne pour en faire à la fois une source de recours en cas d’incidents et de profits à tout moment de l’existence des assurés, le modèle assurantiel est pareil à une promesse capitaliste formulée dans des termes paternalistes et (vaguement) rassurants. Le fait que l’héroïne soit ici une femme tout juste mère la rend très perméable à ce motif : réussir sa reprise, c’est non seulement être acceptée dans le monde mais aussi voir celui-ci adouber sa démarche de peuplement de la planète.

Dans un style simple et précis, Vincent Message déploie pour son troisième roman une galerie de personnages qui va tourner autour de Cora jusqu’au dénouement. Ceux-ci représentent chacun des pôles d’attraction contradictoires dans ce contexte de crise. Il y a d’un côté, vers le haut des étages d’une tour de La Défense, le cadre dirigeant agressif et sûr de son fait, self made man imbu de lui-même pour qui une agression sexuelle est une façon de marquer son territoire. Au centre qui n’en est pas un se trouve la jeune consultante senior en stratégie, fascinante d’intelligence et de charme, qui ne prend pas partie mais pour qui on se pâme. Et, à l’autre extrémité, la figure du migrant malien, épris d’impressionnisme mais se passionnant pour les catacombes tant le sol qu’il foule désormais lui enjoint de ne plus remonter.

Il y a un véritable goût de la fresque dans la façon dont Vincent Message fait danser les destins entre des pôles si lointains. Tenant la boussole du roman avant que l’aiguille ne s’emballe, n’économisant pas une once de son énergie tant elle veut vivre absolument, Cora est une jeune femme prise dans son temps jusqu’à en épouser les failles de manière trop rapprochée, s’exposant au vertige absolu, au néant contemporain. Roman de la crise, des crises que nous traversons et des traces qu’elles laissent en nous, Cora dans la spirale est comme l’horodatage romanesque d’un point de non-retour, l’avertissement formulé par une vigie littéraire voyant le monde s’abîmer dans la perte de sens, loin de tout salut possible.