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P.R.O.T.O.C.O.L. de Stéphane Vanderhaeghe : sous le vernis des sociétés de contrôle

Publié chez Quidam, le 3 février 2022.

Par Benjamin Fogel, le 27-06-2022
Littérature et BD

La société de contrôle, telle que pensée par Gilles Deleuze, n’est plus un concept ou une hypothèse dystopique, mais un mécanisme, digéré par le capitalisme, et nécessaire – pour le meilleur et pour le pire – au bon fonctionnement des démocraties occidentales. De ce constat, Stéphane Vanderhaeghe tire un roman foisonnant, porté par un souffle et une ambition, aussi bien narratifs que politiques. Périmètre de sécurité, couvre-feu, milices, arrestation des opposants politiques, et généralisation des espaces vidéo-protégés-surveillés-contrôlés s’immiscent dans le quotidien des personnages – une chance, une tragédie ou un détail selon leur positionnement –, tandis que l’acronyme P.R.O.T.O.C.O.L. fleurit sur les murs, tags qui annoncent une révolution à venir. Au cœur du livre, cette question, qui me passionne toujours : quelle part de liberté sommes-nous prêts à abandonner pour maintenir l’idéal démocratique ?

Comme chez Marc Villard, et plus généralement dans le roman noir social, la majorité des personnages de Stéphane Vanderhaeghe sont des oubliés du système, des personnes qui vivent aux bornes de la société, hantent la contre-vie capitaliste : sdf prisonniers de la rue, punk à rat marginaux, employés précaires, réfugiés sans papier, prostituée pragmatiques, étudiants en quête d’utopies, cadres essorés, activistes indomptables, et rats d’égout, qui n’ont pour contrepoids dans la vie normée que le couple formé par Jean-Christophe, incarnation d’un patriarcat nourri à la culture du viol, et sa femme Cécile, enseignante qui va peu à peu s’engager socialement, faire des maraudes, et soutenir les démunis.

Quoi qu’il arrive, l’ensemble fait système

Les histoires de protagonistes se recoupent ou s’esquivent. Un sens collectif émerge, ou au contraire se dissipe. Mais quoi qu’il arrive, l’ensemble fait système, rappelant La Zone du dehors et Les Furtifs d’Alain Damasio, Tous Complices de Benoit Marchisio, ou encore Protocole gouvernante de Guillaume Lavenant.

Le puzzle est volontairement incomplet : P.R.O.T.O.C.O.L. n’est pas un essai sur une société à la dérive, sur les causes, les conséquences et les forces en présence, mais un patchwork des manières de vivre et de se positionner face à la déliquescence sociale. Cette idée d’assembler différentes pièces, qui ne s’imbriqueront pas forcément, se retrouve dans l’écriture. Les récits des personnages s’alternent avec : l’itinéraire minute par minute, monitoré par les caméras de surveillance d’un homme sur le point de commettre l’irréparable ; l’entretien toxique avec une nouvelle recrue révolutionnaire, où se mélangent menaces et techniques de coaching, à l’image d’un séminaire motivationnel en entreprise ; et le parcours d’Amin, idéaliste instrumentalisé, dont le destin symbolisera l’impasse dans laquelle se trouve le monde. Chaque histoire du roman possède son propre rythme, sa propre ponctuation – phrases courtes et incisives, ou développements au long cours dénués de respirations : toutes les combinaisons sont possibles –, ancré dans une même langue, mais là aussi capable de diverger, de prendre un autre point de vue, de tester une autre approche.

Un manifeste applicable à toutes les sociétés, à tous les combats

Le débat sur la question de la liberté et du contrôle n’est pas incarné par des partis politiques, ou des enjeux moraux, et reste positionné au niveau philosophique, faisant de P.R.O.T.O.C.O.L un manifeste applicable à toutes les sociétés, à tous les combats. Un livre bourré d’idées, d’appels à l’action, mais aussi de constats doux-amers.