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Le Cœur arrière d’Arnaud Dudek : au-delà du moral d’acier

Sortie le 24 août aux éditions Les Avrils

Par Benjamin Fogel, le 19-08-2022
Littérature et BD

Issu d’un milieu défavorisé, Victor encaisse le quotidien sans agir dessus, jusqu’au jour où il se découvre une passion pour l’athlétisme et plus précisément pour le triple saut. Dès lors, il n’a plus qu’un seul but : saisir les instants fugaces où le corps perd ses attaches et se propulse le plus loin possible, avec une légèreté phénoménale. C’est son parcours vers la compétition de haut niveau que raconte, avec tact et sensibilité, Le Cœur arrière, le huitième roman, de Arnaud Dudek.

Pourquoi prendre ce chemin de croix ? Pourquoi sacrifier sa jeunesse ? À la base, la réponse à cette question est claire pour Victor : pour s’envoler. Mais cet objectif, qui est le sien, n’est pas celui de l’industrie du sport, qui comme toute industrie se fonde sur une logique économique – commercialisation des corps et de leur exposition —, incluant la rentabilité des sommes investies pour leur développement. Victor se retrouve pris dans une spirale infernale, initiée par Franck Forgeron, un entraîneur toxique, qui, à force de le tirer simultanément vers le haut et vers le bas, l’écartèle.

Moins un roman sur les sacrifices inhérents au sport de haut niveau, que sur le culte du sportif au moral d’acier

Le Cœur arrière est alors moins un roman sur les sacrifices inhérents au sport de haut niveau, que sur le culte du sportif au moral d’acier, dont on attend qu’il encaisse les coups du destin, donne le meilleur de lui-même en toute circonstance, et sache faire le vide dans sa tête d’un claquement de doigts, pour laisser le contrôle aux muscles et au corps. Victor, lui, n’est pas une machine. Son moral n’est pas d’acier – même s’il reste un de ses meilleurs alliés. Victor a besoin qu’on le soutienne, que l’enseignement s’adapte à lui, et non l’inverse, pour donner ses meilleures performances. « Forgeron passe à côté de lui, ne lui jette pas un regard. Il pense sans doute qu’une graine de champion n’a pas besoin de bonheur pour pousser, juste de l’effort, rien que de l’effort, toujours de l’effort, et puis de la violence aussi. Il faut les malmener, ces gamins, pour qu’ils se transcendent, leur rappeler chaque jour qu’ils ne sont rien, et que, du reste, les champions n’existent pas, seule leur discipline compte, elle les dépasse et les traverse » : ces mots prononcés par l’entraîneur de Victor ne relèvent pas que de la pratique du sport. Ils traduisent un positionnement politique et une vision de la vie, faits de dépassements dans la souffrance et de méritocratie nocive, contre lesquels le roman se dresse. On peut alors voir le roman comme un négatif du film Whiplash de Damien Chazelle. Ici, il s’agit d’interroger la toxicité et non de la glorifier.

Arnaud Dudek ne s’écoute jamais écrire, reste focalisé sur ce qu’il a à raconter, sans renier la fantaisie

Pour exposer son propos, Arnaud Dudek s’appuie sur des archétypes, qu’il détourne, pour les sortir des clichés : le père de Victor est alcoolique, mais non violent, dévoué au bonheur de son fils ; Maël, son meilleur ami est issu d’une famille privilège, sans que la jalousie ou le mépris de classe jamais ne séparent les deux hommes ; Calypso, sa petite amie, ne lui préfère aucun garçon bien sous tout rapport, originaire du même milieu qu’elle. Cette manière de prendre des personnages typiques de la fiction et leur faire réaliser un discret pas de côté est l’une des forces récurrentes de l’œuvre de Dudek. Il en résulte, comme toujours avec l’auteur, un récit fin, jamais tape-à-l’œil, constitué de petites trouvailles, touchantes, drôles ou surprenantes. Arnaud Dudek ne s’écoute jamais écrire, reste focalisé sur ce qu’il a à raconter, sans renier la fantaisie. Il continue de construire une bibliographie, solide et cohérente, où l’humilité est la meilleure des qualités littéraires.