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L’homme qui danse de Victor Jestin : réduction du domaine de la virilité

Paru aux éditions Flammarion en août 2022

Par Benjamin Fogel, le 03-11-2022
Littérature et BD

L’homme qui danse débute avec Arthur, 40 ans, qui se réveille seul sur la banquette de La Plage, une boîte de nuit, au cœur d’une petite ville du bord de la Loire. Cette scène introductive convoque les images de plusieurs romans, notamment ceux de Frédéric Beigbeder, où un quadragénaire dandy brûle la vie par les deux bouts, raconte ses conquêtes nocturnes, sa difficile condition de mâle privilégié, dénonçant et valorisant dans un même geste la futilité de son existence. Victor Jestin utilise ce stéréotype pour en prendre le contre-pied : Arthur est pauvre, a arrêté de boire, ne reluque pas les jeunes femmes qui s’amusent en boîte. La seule raison de sa présence quotidienne à La Plage est l’espoir de trouver sa place dans le monde à travers la danse.

Le roman raconte la construction d’Arthur, de ses 10 à ses 40 ans, selon les codes de la masculinité, qu’il tente de suivre pour mener une existence la plus normale possible, mais qui l’amènent à faire un pas de côté. Condamné à faire comme les autres garçons de son entourage pour s’intégrer – fumer, boire, parler du corps des femmes, jouer au mâle alpha –, Arthur finit par développer les attributs de la virilité – un corps musclé et une capacité à dominer l’espace en boîte de nuit –, dans l’optique de séduire des femmes et de s’imposer parmi les hommes, mais délaisse au fil du temps leur finalité. Lui veut juste s’entretenir et danser. L’homme qui danse devient alors une réflexion puissante sur la virilité, ce qu’elle représente et comment, au lieu d’aider les hommes à trouver leur chemin, elle les détourne de celui-ci.

Arthur incarne la solitude et le désabusement contemporain, sans puiser dans ceux-ci un ressenti

Alors qu’il rêve de trouver une femme avec qui fonder un foyer, Arthur est dévoré par la solitude, n’arrive pas à donner envie aux filles de s’intéresser à lui. Mais contrairement aux incels – les tristement célèbres célibataires involontaires –, Arthur ne considère jamais que c’est de la faute des femmes s’il est seul. Il préfère se questionner, quitte à désigner la fatalité comme seule coupable. Il souffre de la complicité que lui imposent les autres hommes, qui voient en lui un compère en quête de sexe. Rejeté par les femmes, souvent répugné par les autres hommes, en rupture avec sa famille, Arthur incarne la solitude et le désabusement contemporain, sans puiser dans ceux-ci un ressenti, voire une haine à l’égard de l’humanité – non seulement on n’est pas chez Beigbeder, mais on n’est pas non plus chez Houellebecq.

En 180 pages, L’homme qui danse condense 30 ans de l’existence d’un homme, qui se croit insignifiant, dont le parcours singulier ne provient pas de ses talents ou des événements qu’il traverse, mais de sa vision du monde. À l’image de son personnage principal, un roman jamais tape-à-l’œil qui possède des trésors de beauté intérieure.