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Matrix de Lauren Groff : la puissance invaincue des femmes 

Publié le 6 janvier 2023 aux éditions de l'Olivier

Par Benjamin Fogel, le 27-01-2023
Littérature et BD

« Il y avait chez l’abbesse Marie de grandes ambitions, une impatience, une rage souvent à peine contenue, mais jamais le moindre mal. » Dans le fantastique Matrix, l’Américaine Lauren Groff livre une biographie romancée de la poétesse et abbesse Marie de France, première femme à écrire en français, au XIIe siècle – le terme « biographie » est à prendre au sens large : les événements de sa vie sont difficiles à reconstituer et des hypothèses contradictoires circulent parmi les médiévistes. Peu importe, car ce qui intéresse l’autrice est moins la vérité que le portrait d’une visionnaire puissante à une époque où l’exercice de tout pouvoir féminin éveillait des soupçons de sorcellerie.

Matrix raconte la construction d’un sanctuaire pour femmes, protégé de la folie du monde

Bâtarde du roi, confiée après la mort de sa mère à Aliénor d’Aquitaine, Marie est contrainte de rentrer dans les ordres à cause d’un physique jugé disgracieux, qui la priverait de trouver un mari. Humiliée d’avoir été expulsée de la cour, désireuse de prouver sa valeur aux yeux d’Aliénor pour qui elle éprouve des sentiments, elle se dévouera à la foi, sans pour autant respecter les dogmes imposés par la papauté patriarcale. Ode à « la puissance invaincue des femmes » – l’approche du roman fait écho à l’essai de Mona Chollet –, Matrix raconte la construction d’un sanctuaire pour femmes, protégé de la folie du monde, où celles-ci pourront s’épanouir en affirmant leur amour pour Dieu et pour autrui – le texte réussit ce tour de force de ne jamais être mécréant, tout en développant un discours, pas si éloigné du Génie lesbien d’Alice Coffin.

Un huis clos féminin intense, autant politique qu’historique

Sur ces bases, le récit se développe sur deux axes. Il constitue tout d’abord un grand roman sur l’ambition, la croissance et le désir de vouloir toujours plus. La vie de Marie est régie par des principes capitalistes. Il s’agit toujours de posséder plus, de se protéger mieux et d’embellir le domaine, à l’image des travaux menés par Edouard et Charlotte dans Les Affinités électives de Goethe. Ensuite, par l’intermédiaire du religieux et de la violence médiévale, il prend parfois des allures d’épopée heroic fantasy, quand les nones créent un labyrinthe pour dissimuler l’abbaye, se préparent au combat, ou que Marie brandit sa crosse abbatiale, comme s’il s’agissait d’un glaive magique ; le tout agrémenté des visions de l’abbesse. Il en résulte un huis clos féminin intense, autant politique qu’historique, magnifié par la traduction parfaite de Carine Chichereau.