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Pour mourir, le monde de Yan Lespoux : conquérir sa place, pour vivre

Sortie le 24 août 2023, aux éditions Agullo.

Par Benjamin Fogel, le 14-08-2023
Littérature et BD

1616. Dans un monde entre deux âges, où se côtoient cités civilisées et contrées brutales, où l’existence des hommes est déjà régulée par la logistique et le commerce des biens, mais où l’on peut mourir à chaque instant, pour un regard trop insistant ou une parole déplacée, Yan Lespoux suit une galerie de personnages, qui sont tous sous le joug d’une domination exogène ou endogène : Fernando, au service de l’armée portugaise, est soumis aux ordres des chefs ; Simão, son frère d’armes, est possédé par son goût pour l’aventure ; Marie, sur la côte du Médoc, recherchée pour le meurtre d’un fils de bourgeois qui l’a sexuellement agressée, fuit à la fois les autorités et son oncle violent, en trouvant refuge chez une vieille femme dans un territoire hostile ; Diego, orphelin brésilien qui combat au côté des forces portugaises pour reprendre Salvador de Bahia aux Hollandais, est acculé par sa condition sociale et son absence d’avenir. Quant à Manuel de Meneses, personnage historique, à la tête d’expéditions vers les Indes, et amené à devenir capitaine général de la flotte portugaise, il est dévoré par ses ambitions et son honneur, deux boussoles qui le poussent sans cesse à se mettre en danger.

Les rapports de force dans le monde, et la difficulté pour chacun d’exister et de trouver sa place

L’époque a beau être éloignée, Pour mourir, le monde n’en parle pas moins des rapports de force dans le monde, et de la difficulté pour chacun d’exister et de trouver sa place. Pour déployer son univers et le faire exister, Yan Lespoux utilise deux techniques infaillibles. Première, un travail de fond historique, où l’on sent derrière chaque description les documents étudiés et les recherches préalables, permettant d’imposer une impression de réel dans chaque scène. Deuxièmement, un recourt à des archétypes de la pop culture, qui apportent naturellement un souffle épique au roman : deux mercenaires, un barbare, un Indien, un capitaine de vaisseau et une sorcière en devenir ; de quoi faire jaillir dans l’esprit des lecteurs et lectrices des références aux batailles navales, à la piraterie et même au western.

La destinée de personnes qui ne sont jamais au bon endroit au bon moment

La grande idée du livre est de faire – ou plutôt de rappeler – la primitivité de certaines régions françaises au XVIIe siècle. Ici, les terres inconnues les plus dangereuses ne sont ni Goa en Inde, ni Bahia, au nord-est du Brésil, et encore moins les villes portugaises et espagnoles, mais bien la côte landaise, cette mer de boue, paysage marécageux où règne la désolation, et où la vie s’apparente à un récit survivaliste. Cette inversion des codes géographiques tape dans le mille grâce à sa portée historique, mais aussi par l’étrangeté qu’elle génère en faisant du Médoc le lieu de tous les dangers – tel un écho à Presqu’îles, le recueil de nouvelles de Yan Lespoux, publié en 2021.

On suit la destinée de personnes qui ne sont jamais au bon endroit au bon moment – parce qu’il ne peut pas en être autrement à cette époque. Un grand roman d’aventure, qui prend toujours le temps de travailler ses descriptions et ses ambiances, et ne baisse jamais la garde sur la qualité de son style. Ancré dans l’histoire, sans jamais s’empêtrer dans celle-ci, Pour mourir, le monde est une immense épopée.