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La Géométrie des possibles d’Edouard Jousselin : le monde, d’un seul geste

Publié en janvier 2024 aux éditions Rivages

Par Benjamin Fogel, le 18-02-2024
Littérature et BD

Pour son second roman, Edouard Jousselin se lance dans un tourbillon narratif où s’entrecroisent les époques, les personnes et les lieux. De 1993 à nos jours, du Morvan à Paris, du Mexique à Los Angeles, s’y déploient les existences de protagonistes incarnant à la fois des problèmes universels – désir de suivre ses rêves et difficultés à encaisser ses mauvaises décisions ; amours déçus et persistance du deuil affectif ; carrières décourageantes et inégalités sociales ; racisme et impunité… – et des enjeux spécifiques au monde contemporain – attentats terroristes, divertissement de masse, escroqueries en ligne, manipulation politiques, mise en lumière de la masculinité toxique, crise des gilets jaunes, pandémies sanitaires. On y suit des transfuges de classe, des laissés pour compte, des humains désabusés, en quête de rédemption, d’une seconde chance, ou au contraire contents d’eux, fiers de tromper leur entourage, voire aptes à basculer dans la violence.

Multiplier les personnages et les situations pour offrir un panorama complet

On devine l’ambition de saisir l’époque d’un seul geste, de multiplier les personnages et les situations pour offrir un panorama complet. On pense à la manière dont Jonathan Coe raconte l’Angleterre via ses romans chorals, ou aux fresques magistrales des grands auteurs américains, à même de disséquer l’âme de leur pays à travers l’histoire d’une famille. On reste surtout stupéfait de constater combien Edouard Jousselin, à seulement 35 ans, est à la hauteur de cette ambition, fasciné aussi par la somme de travail.

Un texte sans borne

Les dizaines de récits qui constituent les 600 pages de La Géométrie des possibles convergent et divergent de façon inattendue, au sein d’une structure romanesque qui s’autorise allers-retours entre le passé et le présent, et incursions dans le futur. Si l’on est épaté par les mécanismes qui engendreront la rencontre entre deux fils narratifs, ces derniers ne sont pas une raison d’être, mais une cerise sur le gâteau. L’incroyable force du roman est que chacune de ses parties est autosuffisante, grâce à l’originalité des scènes et à la pertinence du point de vue de l’auteur, dont la conscience économique et politique équivaut sa sensibilité et sa description de la complexité humaine.

C’est un texte sans borne. La Géométrie des possibles aurait pu être deux fois plus court ou trois fois plus long, suivre d’autres personnages que ceux auxquels il s’attache, ou explorer les années 1980 ou 2020, qu’il n’aurait rien perdu de sa puissance. La Géométrie des possibles, c’est également celle qui soutient le travail de l’écrivain. Ici, il s’agit d’une architecture précise et définie, mais qui semble pouvoir s’autogénérer de mille manières différentes. Une infinité de possibilités, tout aussi mathématiques les unes que les autres.