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Le Roman noir, une histoire française de Natacha Levet : une contre-culture populaire

Publié le 21 février aux éditions PUF

Par Benjamin Fogel, le 21-02-2024
Littérature et BD

L’histoire du roman noir comme mouvement littéraire continue d’être l’une des plus passionnantes qui soient. Issu de différents courants, mélange du hard boiled américain, du roman réaliste et social, et de l’enquête documentaire, il est en France un genre mutant, qui ne cesse d’évoluer pour englober différents domaines d’expertise et affiner son regard sur le monde. Dans Le Roman noir, une histoire française, qui sort aujourd’hui en librairie, Natacha Levet décortique ses origines, ses racines et ses transformations. Il s’agit simultanément d’un récit historique, d’un essai et d’une cartographie, croisement de connaissances et d’analyses, à même de saisir en 14 chapitres ce qui fait du roman noir français un laboratoire d’expérimentation de la psyché humaine et un outil pour comprendre la société moderne.

Une histoire des inégalités et de la criminalité

On y apprend comment les auteurs issus du prolétariat y ont trouvé leur place et comment les journalistes se sont emparés du genre. Comment, à travers la fiction, une histoire des inégalités et de la criminalité a pu être racontée en prenant en compte les données sociales, en explorant les répercussions politiques, en s’intéressant à l’intime et à la psychologie. « Le genre, écrit Natacha Levet, devient aussi le lieu d’une remédiation : il est un espace – fictionnel – de compréhension, de témoignage. Cette remédiation ne consiste pas seulement à donner voix aux invisibles, aux marginaux, aux opprimés du temps présent, mais aussi à offrir un tombeau aux oubliés, aux perdants, aux victimes muettes du passé. » Le roman noir s’avère multiforme. Selon les périodes et les auteurs, il peut produire de la littérature de divertissement, ou être une littérature de combat, dont la raison d’être est de résonner avec le monde. « L’adjectif “noir” va s’appliquer à des romans, français ou états-uniens, qui livrent une vision désenchante et pessimiste d’une humanité pitoyable, montrée dans ses excès et sa violence », comme l’explique l’autrice.

Une capacité à démontrer combien le genre est essentiel, sans mettre sous le tapis ses égarements

Le Roman noir, une histoire française plonge dans les textes, analyse les styles, étudie avec brio les rôles joués par Simenon, Jean Meckert et Léo Malet, rappelle combien les auteurs et autrices du roman noir marchent dans les pas de Balzac et Zola. Surtout le livre ne cherche jamais à positionner le roman noir contre les autres littératures. Il ne s’agit pas d’opposer une littérature blanche nombriliste à une littérature noire politique, de reprocher le manque de reconnaissance du genre et son absence de présence sur les listes de Prix, ou encore de casser les idées reçues. Natacha Levet examine intelligemment l’histoire de cet art, sans la moindre frustration à l’égard des a priori qu’il génère parfois. Autre force du texte : sa capacité à démontrer combien le genre est essentiel, sans mettre sous le tapis ses égarements, et la manière dont il a été le gangréné par un virilisme excessif, une homophobie et un racisme assumés, et par la complaisance envers les violences faites aux femmes. L’autrice prend de la hauteur, interroge les évolutions, se méfiant de toute subjectivité.

Rares sont les courants, comme le roman noir, à s’inscrire d’un même geste dans la culture populaire et dans la contre-culture. C’est toute cette ambiguïté dont Natacha Levet détermine les tenants et les aboutissants. On ressort de la lecture du livre avec la conviction que le roman noir fonctionne en négatif du monde, qu’il est un reflet de ses travers et de ses failles, avec parfois le maigre espoir d’influer positivement sur sa marche.