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Le nouvel album de The Smile semble être quasiment un nouvel opus de Radiohead. Ce qui pourrait sonner comme un reproche est en fait un compliment : Wall of Eyes prolonge les obsessions de Thom Yorke et Jonny Greenwood, tout en explorant de nouvelles contrées. Pour la première fois depuis presque dix ans, les deux hommes semblent plus libres que jamais musicalement.

Difficile de savoir si Jonny Greenwood et Thom Yorke aimeraient que l’on compare leur nouvel album à ce qu’il faisait avec Radiohead, mais force est de constater que la continuité est trop grande pour s’en passer. Car après un bon premier album, A Light for Attracting Attention, The Smile (composé des deux têtes pensantes de Radiohead ainsi que du batteur Tom Skinner), passe le niveau au dessus avec Wall of Eyes. Bien sûr, depuis une quinzaine d’années, Yorke et Greenwood ont chacun su produire de magnifiques albums hors Radiohead. Le premier en solo, ou via le groupe Atoms for Peace, le second en faisant les B.O. de Paul Thomas Anderson (mais aussi pour Jane Campion et Pablo Larrain) ainsi que sur le récent projet judéo-arabe Jarak Qaribak avec Dudu Tassa.

On a pourtant le sentiment que Wall of Eyes est un pur prolongement de Radiohead dans la liberté d’exploration. Jusque-là, les deux comparses semblaient s’astreindre pour chaque projet à un univers qui précisément aurait eu pour but de dire « regardez je peux faire autre chose ». Or l’ADN même de Radiohead était la perpétuelle exploration, avec bien sûr ses repères, quelques tics, mais chaque album nous emmenait sur un autre rivage.

Un peu de tout, et plus encore

On retrouve avec cet album des textures d’antan. Wall of Eyes (la chanson) est un tube digne des Lotus Flowers ou There There. La double voix de Yorke, comme un canon dissonant, prolonge l’expérimentation mélodique de Daydreaming. Très clairement un chef-d’œuvre. Teleharmonic concilie parfaitement les textures électro chères à Greenwood et Yorke depuis plus de vingt ans avec l’efficacité pop de leurs mélodies. Read the Room et Under the Pillow embrassent le rock oublié depuis The Bends. You Know Me!, qui clôt l’album, rappelle les belles conclusions des In Rainbows ou The King of Limbs : des morceaux faussement mineurs, à la profondeur qui se dévoile après quelques écoutes et qui laisse l’auditeur comme orphelin une fois la chanson terminée.

Le groupe s’autorise aussi les cordes des grands orchestres en faisant appel au London Contemporary Orchestra. Cette approche avait été d’abord timidement adoptée par Radiohead à l’époque d’une chanson en hommage au dernier poilu britannique Harry Patch. Puis, avec A Moon Shaped Pool, le groupe d’Oxford avait assumé cette nouvelle direction musicale. Le retour d’un orchestre, ici de manière plus débridée, raconte là encore l’exploration continue de la musique “greenwoodo-yorkienne”.

L’aventure digne de Jules Verne

Paradoxalement, ce nouveau The Smile ne sonne jamais comme une redite. Déjà par ses éclairs jazz, sûrement le grand apport du batteur Tom Skinner. Ensuite parce que Thom Yorke semble apaisé, moins torturé et que ça se ressent dans son chant et ses paroles. « I can go anywhere that I want/ I just got to turn myself inside out and back to front/ […] Add some sparkles to create the right effect/ And they’re all smiling, so I guess I’ll stay » chante-t-il sur Friend of A Friend. Alors oui, en explorant un peu plus le reste de la chanson, et sa mélodie, il reste une mélancolie et une sorte d’angoisse souterraine. Surtout que la chanson suivante s’appelle I Quit : Thom Yorke ne sera jamais un joyeux luron.

La chanson Bending Hectic mue peu à peu en aventure sonore, faite de paysages merveilleux et angoissants

Si Friend Of A Friend est à la fois le morceau de l’album qui résume le mieux l’esprit de The Smile, avec ses nouvelles contrées tout en puisant ici et là dans l’héritage de l’ainé Radiohead (qui pourrait signer son retour, le groupe n’est pas mort), l’immense merveille s’appelle Bending Hectic. Rarement le talent de Greenwood et Yorke n’avait à ce point été flamboyant, en tout cas depuis In Rainbows. La chanson, longue de 8 minutes, se vit comme un voyage quelque part entre Jules Verne et Dante. Elle commence par une guitare douce et une voix spectrale, ce sont les premiers pas du voyage. La chanson mue peu à peu en aventure sonore, faite de paysages merveilleux et angoissants. Chaque riff et chaque corde est comme un nouveau chemin à explorer. Puis c’est l’explosion : la destination finale, le joyau. Yorke nous accompagne jusqu’au bout de ce trip, Skinner bat le rythme d’une barque qui approcherait une île mystérieuse et Greenwood raconte déjà le périple des aventuriers dans le livre qui fera leur légende. Grandiloquent et magnifique.