Aa
X
Taille de la police
A
A
A
Largeur du texte
-
+
Alignement
Police
Lucinda
Georgia
Couleurs
Mise en page
Portrait
Paysage

Éclats d’Alexandra Schwartzbrod : renforcer le réel

Publié le 11 avril 2024 au Mercure de France

Par Benjamin Fogel, le 06-05-2024
Littérature et BD

Après avoir bouclé sa trilogie Eli Bishara – Balagan (2003), Adieu Jérusalem (2010) et Les Lumières de Tel-Aviv (2020) –, Alexandra Schwartzbrod, directrice adjointe de Libération, se lance avec Éclats dans l’exercice complexe de l’autobiographie pour tisser les liens qui unissent sa vie intime, sa carrière de journaliste et son œuvre littéraire. Son enfance et ses amours, sa passion pour le polar, son immersion dans le monde de l’armement, son expérience comme correspondante à Jérusalem, ou encore son travail en salle de rédaction, tout s’imbrique et se succède pour former un kaléidoscope puissant, composé de pierres précieuses.

Un kaléidoscope puissant, composé de pierres précieuses

Ces « éclats  », qui donnent son titre au livre, sont des fragments éparpillés sur le sol, comme si Alexandra avait déconstruit sa vie pour en étudier, un par un, plusieurs morceaux, les plus importants, mais aussi parfois ceux qui lui tombent sous la main. Peu importe l’ordre dans lequel elle les ramasse, Alexandra Schwartzbrod sait qu’à la fin elle aura recomposé un panorama complet. Cette démarche confère au livre une structure passionnante, via laquelle l’autrice picore, change de sujet, multiplie les allers-retours entre passé et futur, avec une logique qui lui est propre, sans jamais donner l’impression de digresser, puisque tous ces éclats proviennent de la même pièce.

Cartographier sa propre existence tel un géographe

Cette thématique de la décomposition / reconstruction est au cœur du livre, sans qu’il s’agisse d’un désir de détruire pour mieux rebâtir, ou de décortiquer les moments clefs d’une vie pour les analyser. Il est plutôt question de cartographier sa propre existence tel un géographe, pour dessiner avec lucidité le tracé des regrets, les frontières des possibles et les emplacements où se loge l’amour. Tout cela s’accomplit à travers une approche factuelle, et d’une certaine manière journalistique. Quand Alexandra Schwartzbrod écrit « J’aimais voir et qu’on me voie. Je ne sais pas si je m’entendrais avec celle que j’étais alors. Aujourd’hui mes amies sont ma boussole, fortes, belles et gourmandes, débordantes de projets et d’énergie. Quand nous tombons, il y en a toujours une pour relever l’autre », on est dans le constat. Les évolutions et les changements ne sont pas traités comme des révolutions psychologiques ou des remises en cause du passé, mais comme un chemin avec plusieurs embranchements, qu’il est logique de ne pas arpenter en ligne droite.

Cette absence de sur-analyse offre au texte une humilité touchante. Toutes les informations nécessaires à la compréhension du parcours nous sont fournies, mais avec pudeur, sans s’étaler, sans donner de détails, sans complexifier ou glorifier ses particularismes. Alexandra Schwartzbrod ne se place jamais au-dessus des lecteurs et lectrices.

Alexandra Schwartzbrod ne se place jamais au-dessus des lecteurs et lectrices

Malgré les tragédies mondiales et les difficultés personnelles, à plusieurs moments, la beauté jaillit du texte par une description, une idée, par la valorisation des élans collectifs, ou encore par l’espoir qui se loge entre les lignes – y compris sur les sujets les plus inextricables comme le conflit israélo-palestinien. La manière dont, après le décès de Pierre, femme et ex-femme, deux statuts opposés, sont réunies pour devenir « les deux femmes de sa vie », illustre parfaitement les ambitions d’Éclats : renforcer le réel pour que jamais il ne se brise.