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Armures de Stéphanie Hochet : La sainteté et la violence

Publié le 5 mars 2025 aux éditions Rivages

Par Benjamin Fogel, le 11-06-2025
Littérature

Dans son nouveau roman, Armures, Stéphanie Hochet propose trois récits, qui s’imbriquent et se répondent entre eux : l’épopée de Jeanne d’Arc, de la révélation jusqu’à sa mort ; le parcours monstrueux de Gilles de Rais, le plus terrible des tueurs en série de l’histoire et ancien frère d’armes de Jeanne d’Arc ; et l’exploration des traumas de l’autrice, conséquences de son histoire familiale.

Un changement de perspective qui transformerait la sainte en une figure émancipatrice

Le réel, amplifié par le style de Stéphanie Hochet et sa capacité à déployer les ambiances, confère à la vie de Jeanne d’Arc l’aspect d’un conte horrifique, teinté d’heroic fantasy, où la magie et la violence peuvent survenir à n’importe quel instant. Il ne s’agit jamais de faire passer Jeanne d’Arc pour une menteuse, mais de creuser sa psychologie. L’autrice fait de la nécessité de s’émanciper de son héroïne un moteur à même d’avoir généré des apparitions divines. Condamnée à une vie de femme au foyer sans ampleur, Jeanne d’Arc aurait pu, par le biais de son subconscient, inventer les fameuses voix qu’elle entend. Un changement de perspective qui transformerait la sainte en une figure émancipatrice.

Jeanne d’Arc devient à la fois une héroïne féministe et un outil d’analyse psychanalytique

Stéphanie Hochet ne donne pas dans l’éloge complaisante. Elle retranscrit les histoires que les gens se racontent pour s’en sortir : Jeanne d’Arc qui s’est prétendue sainte, pour fuir les carcans, alors qu’elle pouvait se montrer violente, hautaine et pleine de mépris envers son prochain ; sa propre mère, qui, elle, s’est catégorisée comme sainte pour justifier le martyre, et ses souffrances quotidiennes, alors qu’elle s’avérait particulièrement toxique. En filigrane, le texte révèle le piège dans lequel se retrouvent prisonnières les femmes, parfois condamnées à choisir entre la sainteté et la violence. Il juge les actions de ces dernières, mais d’une certaine manière les comprend. Jeanne d’Arc devient à la fois une héroïne féministe et un outil d’analyse psychanalytique, pour interroger ses propres croyances et sa capacité à s’extraire de son milieu.

Au cœur d’Armures se retrouve la question de la domination masculine : celle que subit Jeanne d’Arc, désignée comme « la pucelle », et qui sera rétrogradée de sainte à sorcière, de pucelle à putain, d’homme à femme, comme si la haine envers les femmes était l’autre facette de la dévotion qu’elles peuvent engendrer ; celle que produit Gilles de Rais et qu’il exerce de manière ignoble sur des enfants ; et enfin, celle sournoise, qui a dévoré la famille de l’autrice. Dans les trois cas, il s’agit toujours de remettre les femmes et les enfants à leur place, de couper court à leur désir d’émancipation, et les traiter comme de la chair dont on dispose.

Au cœur d’Armures se retrouve la question de la domination masculine

Cette thématique de la chair dont on dispose se retrouve aussi dans le roman, à travers le rapport des hommes à la nourriture : le grand-père de Gilles de Rais dévore la viande ensanglantée, Gilles de Rais se vautre dans l’opulence alimentaire, tandis que le père de l’autrice, nommé l’Ogre, semble ne vivre que pour manger.

Tous les personnages portent une armure. Jeanne d’Arc pour cacher sa féminité et changer de rôle ; Gilles de Rais pour dissimuler sa monstruosité derrière un masque affable ; l’autrice pour réussir à aborder son histoire personnelle – la littérature est ici son armure. Il en résulte un roman, qui traite non pas des armures qui nous protègent, mais des armures qui se fissurent et nous exposent.