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Le 27 mai 2025, 8 ans après la diffusion de son premier épisode, The Handmaid’s Tale : La Servante écarlate a pris fin. Six saisons durant, la série aura analysé les mécanismes fascistes de la république de Gilead, régime totalitaire qui a supplanté les États-Unis, et dont l’intégrisme religieux et la quête d’un accroissement de la fertilité ont rendu possible l’asservissement des femmes, au sein d’une société de contrôle fonctionnant en caste : des hommes puissants, une police d’État composée d’espions et de militaires, des épouses soumises, des « marthas » à leur service, et des « servantes » affectées aux foyers, avec pour mission de tomber enceinte, suite à des rituels fondés sur le viol… Après deux premières saisons fidèles à l’univers du roman de Margaret Atwood, la série a ouvert une nouvelle voie avec la saison 3. Dans celle-ci, June Osborne, l’héroïne interprétée par Elisabeth Moss – dans ce qui restera potentiellement le rôle de sa vie (elle réalise aussi plusieurs épisodes) – réussit à s’échapper de Gilead, grâce au concours de l’organe de résistance Mayday, et rejoint le Canada, où elle retrouve son mari Luke, sa deuxième fille Nicole, et sa meilleure amie Moira. La saison 4, probablement la plus bancale, suit l’impossibilité pour June Osborne de se réadapter à la vie. Rongée par l’absence de sa fille aînée Hannah, restée prisonnière à Gilead, dans une famille adoptive, décidée à lui faire oublier l’existence de ses parents biologiques, June Osborne est consumée par son désir de vengeance. Elle prône un déferlement de violence et de haine à l’égard de ses anciens geôliers, au point de voir la saison se terminer avec la mort du commandant Fred Waterford, celui auquel elle avait été « affectée », littéralement dévoré par une horde d’anciennes servantes, déshumanisées par la vengeance, comme transformées en zombies.

La saison 5 a marqué un grand coup, grâce à une exploration fine des dérives politiques, et de l’impact de Gilead sur le Canada. On y découvre non seulement des Canadiens hostiles à la présence de réfugiés sur leur territoire, mais aussi la montée d’une extrême droite, favorable au retour à l’ordre. Serena Joy, l’ancienne épouse du commandant Waterford, avec qui elle a fini par avoir un enfant, tente elle aussi de s’inventer un futur, en se faisant passer pour la victime d’un système, qu’elle a pourtant contribué à créer. Alors que le spectateur s’attendait à voir la rébellion s’en prendre à Gilead, il constate surtout combien une idéologie totalitaire peut contaminer le monde. La question de la vengeance pure et simple au cœur de la saison 4 est dépassée. Il s’agit désormais de trouver des compromis, pour empêcher le monde de s’effondrer, quitte à faire des alliances contre nature. Pour la première fois dans la série apparaît également la notion de pardon – même si celui-ci semble impossible à accorder.

Il aura ainsi fallu attendre cette saison 6 pour voir concrétisé le soulèvement

Il aura ainsi fallu attendre cette saison 6 pour voir concrétisé le soulèvement de ce qu’il reste des États-Unis, au cours de 10 épisodes qui s’inspirent partiellement de Les Testaments de Margaret Atwood, la suite de La Servante écarlate, publié en 2019. En 2025, le monde a complètement changé. Ce qui passait pour une dystopie extrême destinée à alerter sur les dérives du masculinisme radical, en extrapolant la haine envers les femmes jusqu’à son paroxysme, n’a jamais semblé aussi proche du réel. La rhétorique de « la fin justifie les moyens » – comprendre : « l’oppression et le viol sont légitimes s’ils permettent de repeupler la nation –, à l’œuvre dans la série, irrigue les discours trumpistes et les argumentations des politiques. Tout ce qui était inconcevable hier – des saluts nazis aux menaces d’offensives militaires de pays occidentaux pour prendre le contrôle de territoires – peut désormais surgir chaque jour. Les progrès sociaux, tels que l’avortement et la lutte contre l’homophobie, vacillent. Qui plus est, cette saison 6 révèle la manière dont Gilead prétend aseptiser son régime, pour en livrer une version modernisée, à même d’apaiser les tensions avec les autres nations, et lui permettre de trouver sa place à l’international. Ces deux facteurs transforment la perception de la série. Jamais la crédibilité de La Servante écarlate n’a été aussi forte, et du coup la série aussi anxiogène.

Cette dernière saison ne cesse de mettre le spectateur face à ses contradictions

Clôturant les axes de chaque personnage, cette dernière saison ne cesse de mettre le spectateur face à ses contradictions. À travers l’histoire d’amour entre June Osborne et le commandant Nick Blaine, père de Nicole, qui la soutient depuis le début de la série, la série interroge nos désirs et nos propres compromissions. Que sommes-nous prêts à tolérer pour une belle histoire d’amour shakespearienne ? Une question, qui éclaire, métaphoriquement parlant, pourquoi, aveuglés par nos sentiments, nous manquons parfois de courage politique.

Une immense série, à laquelle nous n’avons, malheureusement, probablement pas fini de nous référer

Lors de sa dernière scène, l’épisode final raccroche les wagons avec La Servante écarlate de Margaret Atwood, dont la dernière partie, nommée « Notes historiques », analyse le récit de June Osborne, comme document historique, dans le cadre d’un colloque scientifique. À la fois cohérente avec le matériel de base, tout en ayant réussi à en explorer les angles morts, La Servante écarlate de Bruce Miller aura eu l’intelligence de rester fidèle à son récit, tout en le faisant résonner avec l’évolution du monde. Le résultat est un modèle d’adaptation et une immense série, à laquelle nous n’avons, malheureusement, probablement pas fini de nous référer.