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Le label Sacred Bones Records n’existe que depuis 6 ans, chose que j’ai toujours du mal à réaliser au vu de l’importance, qualitative et quantitative, de ses productions et l’impact que celles-ci ont sur mon univers musical – confère ce précédent papier sur l’expression de la violence au travers de trois de ses groupes phares : Pop 1280, Destruction Unit et Vår. A la tête du label, Caleb Braaten continue d’emmener son projet les routes les plus cabossées du présent et du passé. Non content de contrôler l’identité musicale et visuelle de Sacred Bones et d’avoir réussi à rééditer la discographie de Vex, ces punks avalés par l’histoire, le voilà qui met enfin un point final au volume 1 de  Killed By Death Rock, un parcours du combattant débuté  sept ans plus tôt, où, de recherches en déconvenues, il a réussi à glaner 11 titres de 11 groupes de death rock injustement oubliés et de les faire revivre au travers d’une compilation hallucinante de cohésion et de pertinence aussi bien auditive que historique.

La première grosse influence du projet – autant pour le concept que pour le jeu de mot sur le titre – est à chercher du côté des compilations Killed by Death. Editées à l’origine par le label suédois Redrum Records (qui supervisera les quatre premiers volumes entre 1989 et 1992), ces compilations DIY exhumaient des raretés punk disparues dans les limbes des années 70 et 80. Ces bootlegs, suscitant un véritable emballement de par leur côté fourre-tout et irrévérencieux qui évoquait la caverne d’Alibaba  d’un Disc-Jockey exilé sur une île déserte avec ses anciens trésors, se transformèrent en une lame de fond qui échappa à leurs créateurs, et bientôt l’on vit apparaitre un peu partout – en Australie notamment – des nouveaux volumes de Killed by Death, publiés, souvent à seulement quelques exemplaires, par des activistes qui s’efforçaient bon an mal an de donner une cohérence à un projet que personne ne coordonnait (à titre d’exemple Killed By Death #12 est sorti quasiment deux ans après Killed By Death #13, tandis que chaque publication pouvait prendre le contre-pied totale de la précédente, certaines se focalisant sur une région ou une particularité du genre, d’autre visant au contraire à la cartographie globale d’une époque). Bref, il s’agissait d’un projet éminemment punk où l’on assemblait les initiatives personnelles sans la moindre vision d’ensemble, avec pour seul objectif de saisir des moments, sans se laisser imposer cadre, définition, organisation et tout ce qui peut structurer un projet.

Caleb Braaten s’inspire donc de ce bordel jouissif, mais totalement inégal (une bonne partie des Killed By Death que j’ai écoutés en me laissant guider par le hasard n’offrent qu’un intérêt très limité) pour sortir le premier volume de Killed By Death Rock. Le principe est le même si ce n’est qu’évidemment se substitue au punk son dérivé horrifique à savoir le death rock.

Killed By Death Rock vol 1 dresse une cartographie passionnante d’un style sans en citer un seul leader.

L’avantage d’une telle compilation, c’est qu’elle s’adresse à tout le monde : soit vous êtes passionnés du genre et ce sera l’occasion de chopper des morceaux introuvables dans le commerce (ou alors à des prix délirants), soit non, et sur un mode 11 titres, 11 découvertes, Killed By Death Rock vol 1 sera une excellente intronisation au genre. Là se trouve la force de cet album : il arrive à dresser une cartographie passionnante d’un style sans en citer un seul leader. Pour ma part, je ne connaissais que Twisted Nerve et Bunker Strasse, le groupe français présent ici avec un titre de 1984 alors qu’il s’appelait encore Bunker tout court (et encore je me demande si je ne connaissais pas Twisted Nerve que de nom). La présence de Bunker Strasse est d’ailleurs étonnante, tant il me semblait que Kristian Dernoncourt, le fondateur du groupe maintenant chanteur de No Tears, refusait catégoriquement toute réédition de ses travaux passés. Cette surprise souligne d’ailleurs un autre versant du travail accompli : au-delà des longues heures consacrées au crate digging, on imagine les problématiques légales qui ont dû en découler, et ce d’autant plus que le casting de la compilation est très international. Récupérer les droits de toutes les chansons, en sachant qu’aussi bien les groupes que les structures de l’époque se sont volatilisés dans la pesanteur du retour à la vie normale, a dû s’avérer particulièrement complexe.

Si l’on parle de carthographie, c’est aussi parce que chaque groupe offre ici une facette différente du death rock, celui-ci prenant successivement des colorations plus punk, post-punk, garage ou cold wave (il y a même un petit côté Howard Devoto chez Kitchen & The Plastic Spoons). Caleb Braaten ne se revendique pas comme un extrémiste du death rock qui ne présenterait que les groupes les plus obscures et les enregistrements les plus crades. Au contraire même, Killed By Death Rock vol 1 est une compilation généreuse qui met en lumière le genre avec la conviction qu’il pourra plaire au plus grand monde. On y retrouve des riffs jouissifs, des claviers charmants et des refrains qui accrochent.

Bunker

Bunker

Au-delà du plaisir généré par les chansons elles-mêmes, Killed By Death Rock vol 1 valorise encore – si besoin était – l’esthétique Sacred Bones et fait de Caleb Braaten, l’un des créateurs de label les plus passionnants du moment. Non seulement, son action illustre, sans contestation possible, son implication dans la scène, mais surtout elle remet au cœur du débat le rôle de l’archiviste musical qui, de par ses choix et sa vision, va non seulement réfléchir sur l’histoire musicale, mais surtout, tel un producteur de mix, créer une œuvre à part entière, transformant ainsi une simple compilation en l’un des meilleurs disques de ce début d’année.